Un «Me too» inattendu au Bénin: le harcèlement sexuel en milieu professionnel fait débat

Au Bénin, à quelques jours des élections locales de ce dimanche 17 mai, un débat a enflammé les réseaux sociaux, les médias et même suscité une intervention du président Patrice Talon : une dénonciation du phénomène de harcèlement sexuel par une journaliste de la radio-télévision nationale.

Gilles Yabi. Archive de Gilles Yabi

Tout est parti d’un message sur Facebook le 1er mai, le jour de la Fête du Travail, posté par une journaliste de l’ORTB, le groupe audiovisuel public du Bénin. La journaliste y écrit notamment ceci : « Le harcèlement sexuel en milieu de travail, même à mon âge, a encore droit de cité avec des humiliations de tout genre y compris la baisse de l'estime de soi... Et dire qu'il y a des femmes parmi nous qui se laissent faire. Viol, harcèlement moral et sexuel... j'en ai marre » …

Ce message sur Facebook fait un tollé: des milliers de commentaires et des débats enflammés dans les groupes WhatsApp béninois… et une deuxième journaliste, passée elle par des médias privés, lui emboîte le pas en postant cette fois une vidéo toujours sur les réseaux sociaux…

Elle dénonce elle aussi le harcèlement sexuel dont elle dit avoir été victime dans sa carrière dans les médias, carrière qu’elle a dû abandonner. La sortie publique de ces deux journalistes déclenche un débat tout à fait inédit dans son ampleur sur un sujet qui est loin d’être nouveau.

C’est un peu le « Me too » béninois. Et cette libération de la parole féminine a de l’effet au plus haut niveau. Le président Talon reçoit la journaliste du groupe audiovisuel public en même temps que des responsables de l’institution et promet, dans un communiqué, que « Le gouvernement ne manquera pas d’engager des actions hardies en vue d’assurer une meilleure protection aux femmes afin de les encourager à briser la loi de l’omerta ». La prise de position du président a, sur ce dossier, été largement saluée.

Mais le phénomène de harcèlement sexuel n’est évidemment pas seulement une réalité au Bénin, ni même en Afrique

Évidemment. J’ai déjà évoqué le « Me too » qui n’était point parti du continent africain. Mais il faut se saisir de cette question partout et il faut reconnaître qu’on a encore beaucoup de mal à apprécier la gravité de ce phénomène dans notre région. Ce débat au Bénin m’a fait penser à la série d’entretiens que nous avons réalisés à WATHI avec 20 femmes au Sénégal en 2019 dans le cadre d’une initiative centrée sur les problèmes spécifiques des filles et des femmes. Le harcèlement sexuel est revenu dans plusieurs entretiens comme un obstacle majeur à l’épanouissement professionnel et personnel des femmes.

Une Sénégalaise expliquait par exemple à quel point il était difficile d’échapper à des avances et à du chantage pour obtenir ne serait-ce qu’un stage. On peut imaginer les milliers voire des millions de jeunes filles et femmes dans les pays du continent qui font face à ce type de pressions psychologiques juste pour trouver un stage ou un premier emploi, et à quel point cela peut changer radicalement leur trajectoire professionnelle, leur estime de soi, leur vision des hommes et leur vision de la société.

« Le monde d’après », « l’Afrique d’après » tant débattue aujourd’hui, ça devrait aussi être une Afrique dans laquelle on débat des problèmes de société…

Si l’Afrique d’après, c’est une Afrique où on met sur la table les problèmes de société comme le harcèlement sexuel en milieu professionnel et en milieu scolaire, qui augmentent considérablement les moments de souffrances des femmes et des filles africaines, ce serait déjà un immense accomplissement. Il ne faut pas oublier que derrière ce fléau se jouent aussi des inégalités économiques et sociales et les injustices qui fragilisent les sociétés. Ce sont bien les filles et les femmes qui ont le moins d’options éducatives et professionnelles, qui ne disposent pas de puissants soutiens familiaux, qui sont les plus vulnérables au chantage que constitue le harcèlement sexuel.