Madagascar: quatre mois après la mutinerie de la prison de Farafangana
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Le 23 août 2020, une mutinerie éclate dans la prison de Farafangana, sur la côte sud-est de Madagascar. Sur les 336 prisonniers incarcérés, 88 arrivent à prendre la fuite, après avoir fait tomber un mur d’enceinte vétuste. Impossible pour le personnel pénitentiaire d’empêcher l’évasion : ce jour-là, seulement trois des sept gardes prévus sont présents. Une chasse à l’homme est alors organisée au pied levé dans la ville. Durant la capture, les balles des forces de l’ordre fusent. Le soir, le bilan fera état de 23 prisonniers tués.
Des enquêtes seront ouvertes. Mais quatre mois ont passé et les autorités restent très silencieuses sur l’affaire. Impossible, par exemple, de connaître l’identité des tous les prisonniers décédés. Difficile aussi d’avoir accès aux résultats de l’enquête. Une chape de plomb pèse sur le dossier.
Ils s’appelaient Razakaboana, Razafimahaleo ou Ralista. Comme 70% des prisonniers de Farafangana, ils n’étaient encore que des prévenus, incarcérés depuis de longs mois, parfois des années, en attente de procès. Le dimanche 23 août dernier, ils ont été abattus après leur évasion. Monsieur Charles, l’oncle d’un des défunts, raconte : « En décembre 2019, un mois après le vol de téléphone dans la case de l’enseignant du village, comme nous les villageois, on n’était pas arrivé à rassembler les 3 millions d’ariary – 650 euros – de dédommagement demandés, l’instituteur est allé voir les gendarmes et a accusé mon neveu. Comme ça. Et eux, ils sont venus le chercher et l’ont jeté en prison. Sans interrogatoire, ni enquête. Ralista, il est mort pour rien, sans procès, sur une dénonciation abusive. »
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Trois jours après les faits, deux enquêtes sont ouvertes. L’une diligentée par la brigade criminelle de Fianarantsoa. L’autre par les équipes du ministère de la Justice. Toutes deux ont été clôturées en décembre, sans que les rapports n’aient été rendus publics. Le ministre de la Justice, Johnny Andriamahefarivo, a cependant accepté de révéler les conclusions : « Alors, ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu la pandémie, il y avait une interdiction totale de communiquer avec l’extérieur. Les procès ont également été suspendus pendant neuf mois, et il y a eu aussi une pénurie de nourriture. Ça a provoqué un stress de la part de ces prisonniers, d’où la mutinerie provoquée. »
Mais contrairement aux demandes appuyées des organisations des droits de l’Homme, à l’instar d’Amnesty International qui réclamait une enquête indépendante sur la mort de ces détenus, aucune investigation n’a porté sur le recours à la force létale : « Notre rapport d’enquête se limite aux enquêtes administratives. Il y a eu des décès, il y a eu des exactions, mais pour l'instant, le ministère n'est saisi d'aucune plainte qui justifierait une enquête concernant les décès. »
Un haut responsable pénitentiaire de Farafangana, qui a requis l’anonymat, se justifie : « On a été surpris... On n'a pas eu le temps de s’organiser parce qu'ils étaient déjà en fuite. Il n’y a pas eu d’ordre ou de commandement pour tuer, mais chacun a pris sa propre décision. C'est pourquoi il y a eu beaucoup de morts ce jour-là. »
Sur place, un membre de la société civile, lui, est catégorique : « On sait pertinemment qu’il y a eu une bavure. Mais chaque institution couvre ses éléments et personne ne l’admettra jamais. C’est l’omerta. »
Malgré encore d’immenses zones d’ombre qui planent sur l’affaire, des améliorations sont à noter. Les procès ont été accélérés. Les 48 évadés ont tous été jugés. La prison a été désengorgée, grâce à des transferts de prisonniers vers les camps pénaux. À ce jour, 16 prisonniers sont toujours en cavale.
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