«Le soutien pour la participation de Taïwan à l’OMS atteint son paroxysme»
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Victorieux face au coronavirus mais isolé diplomatiquement, Taïwan réclame plus que jamais sa participation à l’Organisation mondiale de la santé. À quelques jours de la tenue de l’Assemblée mondiale de la santé, le ministre taiwanais des Affaires étrangère, Joseph Wu, a répondu aux questions de Radio France Internationale.

Officiellement, Joseph Wu est ministre des Affaires étrangères pour seulement quinze pays dans le monde. La majorité de la communauté internationale, dont la France, ne reconnait en effet pas l’existence de Taïwan au nom du principe de Chine unique, selon lequel Taïwan est une province chinoise. Sur demande de Pékin, Taïwan a ainsi perdu son statut de membre observateur à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) après la victoire du parti démocrate-progressiste, en 2016, qui rejette les revendications de Pékin. Malgré cet isolement, la jeune démocratie taïwanaise et ses 23 millions d’habitants ont fait preuve d'une efficacité redoutable face au Covid-19. En réaction, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer la participation de Taïwan à l’OMS, dont l’assemblée annuelle se tiendra du 17 au 21 mai. Entre deux réunions, le ministre des Affaires étrangères de Taïwan, Joseph Wu, a accordé un entretien à RFI, micro au poing et distances de sécurités respectées.
RFI : Le directeur-général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, ressortissant éthiopien, a récemment accusé Taïwan d’être à l’origine d’attaques racistes le visant personnellement. Quelle est votre position face à de telles accusations ?
Joseph Wu : Nous avons effectivement entendu Dr Tedros accuser de manière décomplexée Taïwan d’être raciste et d’avoir initié des injures raciales à son encontre. Nous sommes navrés que de telles attaques aient eu lieues. Mais je peux vous assurer que cela n’est pas le fait du gouvernement taïwanais et que nous n’avons jamais encouragé aucun Taïwanais à agir de la sorte.
Taïwan est depuis longtemps exclu de la communauté internationale et nous comprenons mieux que quiconque le sentiment que provoque la discrimination. Depuis sa démocratisation, Taïwan a toujours condamné toute forme de discrimination, et notre engagement en la matière est plus fort que n’importe quel autre pays, justement en raison de notre propre exclusion de la communauté internationale.
Ces accusations ont lieu après que plusieurs responsables taïwanais ont émis des critiques sur la manière dont l’OMS a géré cette crise. Pensez-vous que l’influence de la Chine à l’OMS a conduit à un retard dans la réponse mondiale face à l’épidémie ?
La première chose, c’est que Taïwan fait effectivement partie de tous ceux qui ont pris la parole pour soulever la possibilité que certaines décisions prises par l’OMS aient pu être des erreurs. C’est par exemple le cas lorsque l’OMS affirmait, alors même que l’on assistait à une épidémie très grave en Chine, que le commerce international ou le tourisme international devaient se poursuivre.
Taïwan a pris position, mais nous n’avons pas été les seuls. Les critiques de la gestion de la crise par l’OMS sont massives sur la scène internationale, et les critiques de Taïwan sont les mêmes que celles formulées par d’autres pays.
La deuxième chose, c’est ce que nous avons pu constater par nous-mêmes. Prenez par exemple le courriel que nous avons envoyé à l’OMS à la fin de l’année dernière pour alerter d’un risque de transmission interhumaine autour de la ville de Wuhan. Ce courriel est resté sans réponse. Ce n’est pas la bonne méthode à adopter si vous souhaitez agir de manière transparente autour de cette maladie contagieuse.
Et la conséquence, c’est que la communauté internationale a énormément souffert, non seulement la Chine, mais aussi l’Europe, les Etats-Unis et aujourd’hui l’Afrique. Pour cette raison, nous estimons que l’OMS aurait pu faire davantage pour mieux comprendre l’origine et le développement de l’épidémie, et permettre à tous les pays dans le monde d’être mieux préparé face à la pandémie.
De son côté, Taïwan a réagi très rapidement dès les premiers signes de l’épidémie. Qu’est ce qui explique cette réaction précoce ?
En 2003, Taïwan a été durement frappé par l’épidémie du SRAS, avec des milliers de personnes infectées et un nombre important de décès. Ce fut une leçon difficile pour nous, et nous savions que nous devions être prêts face à un nouveau risque épidémique.
Le 31 décembre dernier, soit le jour où nous avons envoyé une notification à l’OMS ainsi que des courriels aux autorités chinoises, nous avons commencé à inspecter tous les vols arrivant de Wuhan pour identifier les passagers ayant des symptômes de pneumonie atypique.
Au mois de janvier, alors que des histoires autour d’une maladie transmissible à Wuhan continuaient de nous être rapportées, nous avons envoyé nos propres experts pour qu’ils réalisent une enquête sur place. Même s’ils n’ont pas été en mesure d’avoir toutes les informations nécessaires à leur enquête, ils ont compris que quelque chose ne tournait pas rond.
Quand ils sont rentrés à Taïwan, nous avons commencé à nous préparer à une possible épidémie. Notre centre de commandement de lutte contre l'épidémie a été activé pour nous permettre d’adopter une approche inter-gouvernementale face à l’épidémie.
A la mi-janvier, juste après la confirmation du premier cas de Covid-19 à Taïwan, nous avons suspendu tous les vols en provenance de Wuhan et mis en place un système permettant d’éviter que les voyageurs en provenance de zones durement touchée par l’épidémie puissent entrer à Taïwan. Nous avons aussi décidé de suspendre l’exportation de masques chirurgicaux et démarré une production locale massive pour nous assurer que chaque citoyen puisse être protégé.
Enfin, nous avons mis en place un mécanisme pour nous assurer de pouvoir retrouver tous les points de contacts des cas confirmés. Les chauffeurs de taxis ont été mis à contribution afin de transporter de manière sécurisée certaines de ces personnes vers les centres de quarantaine, et les autorités locales se sont occupées des personnes placées en quarantaine.
Grâce à cette stratégie, l’épidémie semble aujourd’hui sous contrôle à Taïwan. Néanmoins, nous ne serons pas en sécurité tant que la communauté internationale ne le sera pas également. C’est pour cette raison que nous souhaitons partager notre expérience avec la communauté internationale.
Au vu de cette réaction efficace, pensez-vous que la situation mondiale aurait pu être différente si Taïwan était membre de l’OMS ?
C’est très difficile d’imaginer ce qui aurait pu se passer si Taïwan était membre, ou même simplement membre observateur, de l’OMS. Je pense tout d’abord que nous devrions avoir le droit de recevoir toutes les informations nécessaires de la part de l’OMS dès que nous en avons besoin. Or, pour l’instant, c’est pratiquement impossible pour Taïwan d’avoir accès à des informations en temps réel de la part de l’OMS.
L’autre chose, c’est que les informations que Taïwan souhaite partager avec la communauté internationale ne sont pas relayées. Nos informations sont simplement envoyées à la plateforme du règlement sanitaire internationale (IHR), mais on ne sait pas ce qu’elles deviennent ensuite !
Enfin, nous pensons donc qu’il est de notre devoir d’aider les pays qui auraient besoin de l’assistance de Taïwan, notamment car nous avons des standards sanitaires plus élevés que de nombreux autres pays dans la région. Le meilleur mécanisme serait de passer par l’OMS pour venir en aide à ces pays, mais cela est impossible dans les circonstances actuelles.
Je peux vous donner un exemple concret : l’an dernier, nous avons réalisé que la lutte contre le virus Ebola était très importante, et nous avons proposé de faire un don à l’OMS pour soutenir cette cause. Et pourtant, vers la fin du processus, l’OMS a rejeté notre proposition.
Ce type de situation montre que Taïwan a besoin de participer à l’OMS de manière plus directe, que ce soit en tant que membre de plein droit ou en tant que membre observateur. Cela serait certainement bénéfique pour l’OMS.
L’Assemblée mondiale de la santé de l'OMS se tiendra du 17 au 21 mai prochain. Attendez-vous de réelles avancées sur la question de la participation de Taïwan ?
Il y a deux niveaux d’observation. D’un côté, il y a l’attitude de l’OMS, et en particulier de son directeur-général, Dr Tedros. Sur la base de ses réactions et de ses commentaires, nous ne constatons aucun changement dans la position de l’OMS concernant la participation de Taïwan. Nous imaginons que la Chine continue à faire pression pour ne pas intégrer Taïwan. Dans ces conditions, la possibilité que Taïwan puisse se voir octroyer un statut de membre observateur est donc réduite, sinon inexistante.
La deuxième dimension, c’est la question du soutien international. Il y a certes un pays qui refuse notre participation, mais il y en a bien davantage qui la soutiennent, en particulier chez les pays avec qui nous partageons des valeurs communes. Récemment, les gouvernements américain, australien, néo-zélandais, canadiens et japonais se sont prononcés de manière très forte pour soutenir notre participation à l’OMS.
Nous entendons aussi discrètement les pays européens dire qu’ils soutiendront la participation de Taïwan à l’OMS. Je ne peux pas vous dire ce qu’il se dit en coulisse, mais je peux vous assurer qu’il y a un nombre toujours plus important de pays européens qui sont prêts à écrire à l’OMS pour lui demander d’intégrer Taïwan. Même en Amérique latine, où nous avons pourtant un seul allié diplomatique, plusieurs pays sont prêts à le faire.
En additionnant toutes ces voix, on peut dire que le soutien à la participation de Taïwan comme membre observateur atteint aujourd’hui son paroxysme. Nous avons désormais un fondement moral pour demander à l’OMS de nous octroyer le statut de membre observateur.
L'administration Trump a récemment annoncé le retrait de la participation financière américaine à l’OMS. Croyez-vous toujours en l’importance et la capacité de l’institution à organiser la coopération sanitaire internationale ?
L’OMS reste la seule organisation internationale qui traite de questions sanitaires internationales. Certes, de nombreuses personnes déplorent que l’OMS soit dominée par un seul acteur, et estiment que l’OMS devrait être réformée pour fonctionner de manière plus efficace. C’est un point de vue que nous partageons, et nous pensons que la première réforme que devrait conduire l’OMS est de permettre la participation de Taïwan.
Ensuite, chaque pays à sa méthode pour essayer de réfléchir à la manière d’encourager ou de pousser l’OMS à se réformer sérieusement, donc je ne commenterai pas cette décision du président Trump. Ce que je vois, c’est un effort international pour tenter de comprendre, d’enquêter sur la source du Covid-19 et de réfléchir à une manière commune de lutter contre l’épidémie. Tous ces efforts sont précieux, et la chose la plus importante pour Taiwan est de pouvoir participer à cet effort.
La Chine semble être engagée dans une stratégie de promotion de l’efficacité de son modèle autoritaire dans la gestion de l’épidémie. La démocratie taïwanaise fait pourtant office de contre-exemple incontestable. Votre système démocratique vous a-t-il aidé à contenir l’épidémie ?
Puisque vous êtes à Taiwan, vous avez sûrement dû assister aux conférences de presse de notre centre de commandement. Vous savez que la manière dont se déroulent ces conférences est basée sur une transparence totale ! Vous pouvez poser n’importe quelle question et le directeur du centre de commandement continuera de répondre à vos questions jusqu’à dissiper le moindre doute. Cette transparence totale ne peut exister que dans un système démocratique. Elle permet un pacte de confiance très fort entre le gouvernement et la population.
De l’autre côté, il y a le système de la Chine communiste qui est très différent, avec un système autoritaire qui n’est pas en mesure, institutionnellement, d’être transparent, d’être honnête sur la situation, car son objectif est la stabilité du régime et la consolidation de son pouvoir. C’est un rapport au pouvoir très différent.
Depuis que la situation s’est améliorée en Chine, la Chine a effectivement commencé à fournir du matériel de secours, en présentant cela sous forme de donations et en essayant de demander aux pays receveurs de faire l’éloge du modèle chinois. Mais beaucoup ont réalisé que ces dons étaient en réalité des ventes, à des tarifs parfois plus élevés que les prix du marché, et certains ont constaté qu’une partie du matériel envoyé était défectueux. Je pense donc que lorsque la Chine tente de vendre son modèle à la communauté internationale et essaye de démontrer sa supériorité, par exemple, au modèle taïwanais, la communauté internationale la rejette.
Et je suis certain que les pays partageant les mêmes valeurs que nous, s’ils se penchent sur l’expérience taïwanaise, réaliseront que les méthodes démocratiques sont bien meilleures pour gérer l’épidémie qu’une approche autoritaire.
Dans des communications récentes, la Chine sous-entend que Taïwan pourrait être tenté de profiter de l’épidémie pour avancer vers la déclaration de son indépendance. Pouvez-vous clarifier votre position sur le sujet ?
A un moment où la pandémie frappe Taïwan comme le reste du monde, la seule chose dont nous nous soucions est d’être en mesure de gérer cette situation et d’aider au mieux le reste du monde.
Si nous prenons l’exemple de la campagne pour participer à l’OMS, nous l’avons menée chaque année depuis les années 2000, et nous ne faisons, cette année, rien de plus que ce que nous faisions avant.
Cette année, il y a une différence, c’est que Taïwan a démontré sa capacité à contenir l’épidémie, et pour cette raison, il y a une reconnaissance plus forte du droit de Taïwan de participer à l’OMS. Mais cela n’a rien à voir avec le fait que Taïwan souhaiterait déclarer ou demander son indépendance.
Peu importe à quel point la Chine soutient que Taïwan lui appartient, c’est faux, cela ne représente pas la réalité. La réalité c’est que Taïwan existe en soi, que la Chine et Taïwan sont différents, et que les deux côtés du détroit de Taiwan sont administrés par deux gouvernements distincts.
On doit donc être très prudent face à ce que la Chine tente de faire avaler à certains pays, ou même par rapport à ce qu’elle leur force à dire publiquement, notamment quand elle veut faire croire que Taïwan appartient à la Chine.
Cependant, j’ai le sentiment que de plus en plus de pays comprennent la situation réelle de Taïwan, à savoir que nous ne faisons pas partie de la Chine. Et que ce que nous souhaitons, c’est de maintenir le statu quo pour que les relations entre les deux rives du détroit puissent continuer à être pacifiques et stables.
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