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Monténégro: l'Église mobilisée contre un projet de loi controversé

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Depuis la fin décembre, le Monténégro est confronté à un mouvement de contestation inédit. Chaque jeudi et chaque dimanche, des dizaines de milliers de personnes descendent en procession dans les rues de toutes les villes du pays.

Les croyants orthodoxes du Monténégro célébrant leur réveillon de Noël le 6 janvier 2020.
Les croyants orthodoxes du Monténégro célébrant leur réveillon de Noël le 6 janvier 2020. AFP/Savo Prelevic
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C'est la nouvelle loi sur la liberté religieuse adoptée le 26 décembre par le Parlement monténégrin, d’ailleurs déserté par les députés de l’opposition, qui a mis le feu aux poudres. Cette loi fait obligation à l’Église orthodoxe serbe de présenter les titres de toutes ses propriétés, faute de quoi, elles seront placées sous l’autorité de l’État. La puissante Église serbe dénonce une loi discriminatoire, car les autres communautés religieuses, avec lesquelles l’État a déjà passé des accords spécifiques, ne seront pas soumises à la même obligation.

Le Monténégro est un pays multiconfessionnel, où vivent aussi des musulmans et des catholiques. La grande majorité de la population est néanmoins orthodoxe, et reste fidèle à l’Église serbe, même s’il existe aussi une petite Église monténégrine, qui prétend à l’autocéphalie, c’est-à-dire à l’indépendance. L’Église serbe soupçonne le gouvernement de favoriser cette Église monténégrine et de vouloir obtenir sa reconnaissance canonique. Dans le monde orthodoxe, les Églises sont en effet toujours perçues comme des piliers de l’identité nationale.

Un mouvement social

Mais les foules énormes qui défilent deux fois par semaine ne sont pas uniquement composées de pieux fidèles et 'Église est la première à le reconnaître. Si les pratiquants réguliers sont bien sûr mobilisés, on y trouve aussi beaucoup de gens qui ont une relation plus lointaine à l’Église orthodoxe serbe, mais qui considère que celle-ci fait partie de leur identité. Pour beaucoup de manifestants, cette appartenance confessionnelle n’est d’ailleurs pas contradictoire avec leur identité monténégrine. En réalité, beaucoup de gens utilisent même ces processions pour exprimer leurs frustrations sociales et politiques, dans un pays travaillé par de très fortes inégalités sociales, où l’exode à l’étranger est trop souvent la seule option qui s’offre aux jeunes, où la même élite politique corrompue est au pouvoir depuis 30 ans.

L’Église tient néanmoins à garder le contrôle du mouvement. Elle a réussi à tenir à distance les partis de l’opposition. Les slogans et les insignes politiques sont interdits, et c’est donc derrière des bannières et des croix de processions, en chantant des hymnes et des cantiques que les Monténégrins défilent deux fois par semaine. Dimanche dernier, ils auraient été 200.000 dans tout le pays, selon l’Église. La police n’a compté que 66 000 personnes, mais ce chiffre reste énorme dans un pays qui compte à peine 600 000 habitants.

Une mobilisation dont l'impact reste anecdotique

Néanmoins, les hymnes et les cantiques ne feront certainement pas vaciller le régime de l'inamovible maître du pays : le président Milo Djukanovic. Mais la question est désormais posée. Tous les observateurs s’accordent pour reconnaître que Milo Djukanovic a peut-être commis la première erreur sérieuse de sa longue carrière politique, en sous-estimant la capacité de mobilisation de l’Église. Après avoir d’abord traité le mouvement par le mépris, le régime vient de proposer l’ouverture d’un dialogue, mais l’Église exige en préalable le retrait de la loi.

L’espace pour un compromis est donc fort étroit pour le moment, et le métropolite Amfilohije, chef de l’Église orthodoxe serbe au Monténégro, n’a pas l’intention de galvauder l’immense crédit dont il jouit auprès de larges secteurs de la population du pays. En poste depuis près de 30 ans, le métropolite est un habile politicien, qui entretient d’ailleurs des relations tendues avec son supérieur, le patriarche Irinej de Serbie. À 83 ans, Amfilohije est bien conscient d’avoir rendez-vous avec son propre destin et celui de son Église.

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