Mongolie: réduire la taille des troupeaux pour améliorer le revenu des éleveurs et protéger la steppe
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La Mongolie est un pays qui se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne et qui est confronté à l’érosion des sols. Pour lutter contre l’usure des steppes, il faut commencer par réduire le nombre des têtes de bétail.

De notre envoyé spécial en Mongolie,
Un peu moins grande que l’Iran, un peu plus grande que le Tchad et trois fois plus grande que la France, la Mongolie compte 3,5 millions d’habitants et près de 70 millions de têtes de bétail. Un pays de pasteurs nomades, ou près d’un tiers de la population tire ses revenus de l’élevage. Problème : plus le cheptel augmente, plus les steppes s’épuisent, d’où le programme lancé cette semaine par Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) pour structurer la filière viande et revaloriser le travail des éleveurs. L’association travaille depuis vingt ans en Mongolie sur les questions de santé animale, mais aussi sur la durabilité de la filière. Pour améliorer le niveau de vie des pasteurs, il faut les aider à sortir du cercle vicieux de la production à faible valeur ajoutée conduisant au surpâturage.
« La question du nombre reste le gros défi aujourd'hui, pour la Mongolie et pour l'élevage. On a 70 millions de têtes de bétail, sachant que les steppes mongoles seraient en capacité, a priori, d'en soutenir à peu près 30 millions, de manière durable. Donc c'est dire l'enjeu qu'il y a de réduire cette taille des troupeaux. Il faut aussi se dire que pour un éleveur, c'est toujours important d'avoir un certain nombre d'animaux. Ça montre qu'on est capable de gérer ce troupeau-là et donc, ça demande un changement de mentalité, qui prend du temps », explique Manon Lelarge, la représentante d’AVSF à Oulan-Bator.
Un programme pour soutenir la souveraineté alimentaire
Pour accompagner ce changement de mentalité, le gouvernement mongol a approuvé il y a dix jours un nouveau programme baptisé « Nouvelles coopératives, riches éleveurs ». Cette initiative a pour but de soutenir l’organisation des nomades pastoraux en collectifs pour qu’ils aient plus de poids sur le marché, et ainsi soutenir la souveraineté alimentaire du pays.
« Un éleveur qui est isolé a beaucoup moins de chance de s’en sortir, précise Manon Lelarge. Avec une densité de 2,1 habitants au kilomètre carré, les éleveurs résident loin de la ville. Et comme il y a très peu d’infrastructures, il est difficile pour eux d’accéder aux industries de transformations et aux consommateurs finaux ».
Cette relance des coopératives n’allait pas de soi, dans un pays qui a vécu sous les règles du collectivisme à la soviétique. Sur le mur du bâtiment administratif de la communauté de Dashinchilen, un peu comme au MacDo, le portrait des éleveurs méritants du mois sont affichés.
« Pour être affiché sur ce mur et figurer dans la liste des meilleurs éleveurs nomades, il faut non seulement réaliser des actions positives pour la collectivité, mais aussi s’engager à produire une viande de bonne qualité. On prend en compte l’alimentation du bétail, le respect de pâturages alternés et tout ce qui fait que la qualité prime sur la quantité chez ces éleveurs », précise Bazarsad, expert agricole au sein du sum (district nomade, ndlr) de Dashinchilen.
Structuration de la filière du cachemire
Le cachemire vaut de l’or pour les éleveurs nomades puisque cette fibre représente 80% de leurs revenus dans un cheptel composé de 30 millions de moutons qui servent essentiellement à réchauffer les chèvres – soit 27 millions de chèvres, 4,4 millions de bovins, 4 millions de chevaux et 1 million de chameaux. La Mongolie est le deuxième producteur mondial de cachemire derrière la Chine. Au total,10 000 tonnes de matière brute partent chaque année à 70% en Chine, via des intermédiaires qui frappent directement à la yourte.
Depuis dix ans, l’association AVSF, en partenariat avec un groupe du luxe français, a structuré les éleveurs de chèvres cachemires, d’abord en groupe d’usagers des pâturages, puis en coopératives, puis en réseau de coopératives, de façon à avoir un interlocuteur unique. Un réseau qui vole désormais de ses propres ailes. « L’objectif principal est de valoriser la matière première produite par nos membres. En structurant les éleveurs, l’idée est aujourd’hui de passer à la vente de produits transformés », comme le souligne Uranchimeg Davaajav de la coopérative Eeltei Baylag qui rassemble 558 familles d’éleveurs dans trois grandes régions.
Avant le programme « cachemire durable » en partenariat avec AVSF, la coopérative – qui, en mongole, pourrait se traduire par « ressources durables » – a développé un réseau d’éleveurs de laine de bébés yacks avec notamment des formations de peignage et de tissage qui ont permis de multiplier par sept le revenu des éleveurs nomades. Depuis septembre 2023, la coopérative vend des produits finis à partir de la production de ses membres, ce qui permet au passage de donner du travail aux femmes d’éleveur qui ont racheté des machines manuelles pour tisser des pulls, des écharpes, des tours de cou, des bonnets et autres produits en cachemire directement depuis les yourtes.
Une manière aussi de contourner les intermédiaires chinois qui s’intéressent essentiellement à la matière brute : « les Chinois achetaient presque 90% des cachemires produits en Mongolie, du cachemire juste lavé qu’ils importent dans leurs usines pour être transformés. De cette manière, la Mongolie perd la valeur ajoutée du cachemire, les intermédiaires se contentent d’importer la fibre brute. Mais à partir du 1er juillet 2024, cela va changer : le gouvernement mongol va interdire d'exporter le cachemire uniquement lavé. On va exporter surtout du cachemire éjarré. L’éjarrage du cachemire permet en effet d’augmenter le prix du kilo de 35 à 40% », ajoute Uranchimeg Davaajav. « Éjarrer » signifiant retirer les longs poils rigides de la laine de chèvre.
Fonds français
Pour financer ces projets, plusieurs pays et organisations internationales contribuent à des programmes. Le dernier projet d’importance en date, baptisé « wifi », doit permettre de connecter les steppes des éleveurs nomades aux industries de transformations de la viande. Ce partenariat conduit par AVSF et Eeltei Baylag avec la Fédération nationale des groupes d’usagers des pâturages, l’Association mongole des coopératives agricoles et l’Agence vétérinaire de Mongolie, a été signé le 23 avril à l’ambassade de France d’Oulan-Bator, avec un fond de 800 000 euros du ministère français des Affaires étrangères sur deux ans.
Quatre sums, quatre coopératives et 650 éleveurs sont concernés. Le projet comprend notamment la mise en place d’une certification en 25 points adaptée au contexte pastoral nomade. En Mongolie, le label organique n’a pas vraiment de sens, sachant que le bétail est élevé en liberté dans la steppe et que son alimentation est basée sur la ressource naturelle.
Il y a en revanche ce problème de surpâturage et de multiplications des troupeaux XXL. Ce projet test de deux ans sur fonds français vise donc là aussi à encourager les éleveurs qui privilégient la quantité à la qualité. Avec, en arrière-plan, le soutien à l’objectif de souveraineté alimentaire des autorités mongoles et de contribuer à diversifier l’économie locale centrée sur les mines. Bien encadré, le pastoralisme en Mongolie coche en effet toutes les cases d’un marché international en demande de produit traçables et respectueux de l’environnement.
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