Ça fait débat avec Wathi

Du pouvoir et surtout des ressources pour faire de la décentralisation une réalité

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Les élections locales prévues en janvier 2022 se préparent au Sénégal. L’inscription sur les listes électorales est ouverte mais beaucoup de citoyens semblent montrer peu d’intérêt pour le prochain scrutin. Beaucoup sont déçus de leurs maires analyse Fadel Diop, chargé de recherche à Wathi. Pourquoi ceux-ci ne répondent-ils pas aux attentes des citoyens ?

Mohamadou Fadel Diop, chargé de recherches à Wathi
Mohamadou Fadel Diop, chargé de recherches à Wathi © wathi.org
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Fadel Diop. En effet, il y a comme un désamour vis-à-vis de la politique et les maires comme tous les autres élus locaux en sont victimes. Avec l’Acte 3 de la décentralisation qui est mis en œuvre au Sénégal depuis 2013, les collectivités locales ont plus de compétences que jamais pour contribuer au développement de leurs communautés. Cependant, il y a un grand décalage entre les principes et la loi d’un côté et la réalité de l’autre. Le sentiment de plusieurs élus locaux que WATHI a interrogés dans le cadre d’un projet mené avec la Fondation Konrad Adenauer est qu’ils sont marginalisés dans la gestion du pouvoir public. Premièrement, une grande partie d’entre eux dénoncent le manque de ressources. Et ce sont les communes en zone rurale qui en souffrent le plus. À Guinguinéo, une commune située dans le centre du pays à 200 km de Dakar, Abdoul Aziz Diop, conseiller municipal constate avec désespoir qu'une « commune qui compte sur des taxes journalières au marché et sur le stationnement de quelques véhicules pour avoir des ressources ne peut pas porter le développement tel que souhaité par les populations. »

RFI : l’État du Sénégal ne facilite-t-il pas le transfert de compétences et de ressources adéquates pour que les communes s’administrent librement ?

F.D. C’est la deuxième raison qui explique que les communes n’arrivent pas à contribuer au développement local comme attendu. Les communes sont censées s’administrer librement mais elles sont limitées par l’influence de l’administration étatique qui est jalouse de ses prérogatives. Dans le sud du Sénégal, Daouda Sidibé, l’adjoint au maire de Kolda, nous raconte que “beaucoup de maires se plaignent. Bien que l’éducation soit une compétence transférée, il y a des constructions qui sont pilotées depuis le ministère de l’Éducation nationale. Les maires se réveillent et voient des constructions dans leurs communes sans qu’ils en aient été informés.” Ces exemples qui traduisent un manque de considération voire de respect pour les élus locaux sont fréquents dans tous les domaines censés être gérés par les communes.

RFI : le Sénégal a entrepris le processus de la décentralisation depuis 1972. Après cinquante ans de mise en œuvre et de nombreuses réformes, les collectivités locales ne sont-elles pas assez préparées pour assumer la conduite des politiques locales ?

Fadel D : La réponse est clairement non, même s’il ne faut pas sous-estimer les progrès accomplis et l’ancrage dans les esprits de l’importance de la démocratie et de la gouvernance locale. Dans la majorité des collectivités locales, les élus locaux ne sont toujours pas formés à la gestion du pouvoir public ou ils ne sont pas suffisamment alphabétisés. Ce constat souligne l’urgence de donner la priorité à la formation des élus locaux et à l’autonomisation économique. « Si les élus locaux ne savent pas lire leur nom ni comprendre ou interpréter l’acte 3 de la décentralisation, il leur sera très difficile de porter le développement de tout un terroir » selon l’adjoint au maire de Kolda, Daouda Sidibé. Mais on constate aussi que le problème de la gouvernance locale est qu’elle est détournée de ses objectifs par les ambitions politiciennes et électoralistes des acteurs politiques. Par conséquent, 50 ans après le début du processus, la mise en œuvre de la décentralisation s’est essentiellement traduite par des réformes administratives sans impact décisif sur les conditions de vie des populations. Les élus locaux attendent toujours que le processus de décentralisation s’attaque aux défis urgents pour aménager les territoires selon leurs potentialités et encourager le développement d’une économie territoriale dynamique.

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