Ça fait débat avec Wathi

Leçons d’Afghanistan: la corruption est partout une menace à la paix et à la sécurité

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Le retrait des forces occidentales d’Afghanistan fait déjà moins l’actualité, mais Gilles Yabi, fondateur du think-tank Wathi, estime qu’il y a encore des leçons importantes à tirer de ce tournant historique, notamment par les pays africains dont les États sont fragiles.

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi.
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi. © Samuelle Banga
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Selon vous, la première leçon du retrait des troupes occidentales d'Afghanistan pouvait se résumer par l'expression « chacun pour soi, Dieu pour tous ». Quelle est la deuxième ?

Si je devais utiliser à nouveau une formule simple et claire, je dirais « La corruption est une menace à la sécurité de tous, partout sur la planète ». La corruption, qu’il faut ici comprendre dans sa définition la plus générale -l’abus d’une fonction publique à des fins privées, et dont les variations et les extensions sont nombreuses, notamment les fraudes et autres malversations diverses-, est une source majeure d’insécurité, de violence, de déliquescence des sociétés et des États.  

Lorsque l’Afghanistan est réapparu de manière spectaculaire dans l’actualité internationale, je me suis rappelé avoir lu quelques articles sur le travail d’une Américaine qui avait vécu de longues années en Afghanistan, après l’intervention américaine en 2001 et qui alertait partout où elle le pouvait sur l’impératif de lutter contre la corruption, qui était selon elle le plus gros obstacle à une paix durable dans ce pays. 

Elle s’appelle Sarah Chayes et a écrit un livre intitulé Thieves of State: Why Corruption Threatens Global Security, qui signifie en français « Voleurs ou Prédateurs d’États : la corruption menace la sécurité mondiale ». Dans ce livre, en plus de son expérience de l’Afghanistan, elle s’est intéressée à d’autres pays comme la Tunisie, l’Égypte, l’Ouzbekistan ou le Nigeria et a montré que sa thèse y était tout autant valable : la corruption des gouvernants, qui finit par contaminer quasiment toute la société, produit de l’insécurité, de la violence et favorise l’implantation de groupes extrémistes armés. 

Vous rappelez les propos de Sarah Chayes en 2009, 12 ans avant le retour victorieux des Talibans en Afghanistan. 

À l'époque, alors qu'elle était conseillère auprès du commandement de la force de l'Otan à Kaboul, Sarah Chayes avait accordé une interview au journal français La Croix, où elle expliquait : « L'Afghanistan est aujourd'hui dominé par un syndicat criminel déguisé en gouvernement qui capte les fonds de l'aide internationale, prélève à son profit les droits de douane et les taxes, brade, moyennant pots-de-vin, des concessions pour l'exploitation des ressources naturelles et accapare à des fins privées les postes gouvernementaux et administratifs. Sans une action politique déterminée pour mettre fin à ce système, mis en place depuis 2002 avec la complicité de la communauté internationale, l'intervention en Afghanistan se soldera par un échec ».

Et elle expliquait très clairement déjà à cette époque les raisons du début de la reconquête du territoire par les Talibans : « Aujourd'hui, leur action rencontre un soutien grandissant, pour des raisons qui n'ont, la plupart du temps, rien à voir avec l'idéologie, assurait-elle. Les Afghans sont très pragmatiques. Si les gens acceptent plus facilement la pression, l'intimidation et la coercition des talibans, c'est parce que le gouvernement afghan et la communauté internationale ne leur offrent pas une alternative attrayante. Pour une majorité d'Afghans, il est très difficile de prendre des risques pour un gouvernement qui les harcèle et vit sur leur dos. » 

Malheureusement, selon-vous, cette perception très hostile des autorités politiques, on peut aussi l’entendre très loin des montagnes afghanes, dans des régions rurales des pays du Sahel et du Nigeria. 

En effet. Et en plus du lien entre corruption et insécurité, il y a une autre leçon importante à tirer des deux dernières décennies d’intervention internationale en Afghanistan : on ne peut pas prétendre transformer un pays quand une large partie de ce qui est versé comme aide internationale finit par retourner sur les comptes bancaires des fournisseurs de biens et de services originaires des pays donateurs. De même l’essentiel des efforts d’investissement et de réformes ne doivent pas être concentrés dans la capitale. 

En Afghanistan, comme au Sahel, le décrochage des zones rurales des dynamiques de modernisation économique, sociale et culturelle, au profit des villes, fait le bonheur de tous ceux qui contestent la légitimité des États par les armes, qu’ils soient porteurs d’une idéologie politico-religieuse ou motivés par l’appât du gain.  

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