Ça fait débat avec Wathi

Conjurer l’obsolescence programmée du pouvoir judiciaire en Afrique de l’Ouest

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La semaine dernière a été celle de deux procès très attendus au Bénin, ceux de deux acteurs politiques et ex-candidats à la candidature présidentielle en avril 2021. Le professeur de droit Joël Aïvo a été condamné par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) à dix ans de prison ferme. Verdict encore plus lourd pour Reckya Madougou, ex- ministre de la Justice sous Boni Yayi, condamnée à 20 ans de réclusion criminelle par la même cour pour « complicité d’actes terroristes ». 

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga
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Il est délicat de commenter des décisions de justice. Mais on ne peut pas se taire lorsque ces décisions, au-delà des cas individuels, s’inscrivent dans une tendance lourde de restriction de l’espace politique et civique.

Alors oui, je ne peux pas affirmer que le professeur de droit Joël Aïvo, la femme politique Reckya Madougou, et avant eux, l’homme d’affaires et acteurs politique Sébastien Ajavon et quelques autres, n’aient rien à se reprocher et n’aient commis la moindre violation des lois existantes, les anciennes comme les plus récentes, votées au pas de charge au cours des dernières années.

Ce qui est par contre difficilement réfutable, c’est que les lois elles-mêmes et les institutions qui sont censées veiller à leur application n’inspirent plus confiance. Ce n’est pas moi qui le dis. Tous les indicateurs qui essaient de mesurer les degrés de démocratie, de respect des libertés, élaborés par des organisations réputées, témoignent de la tendance préoccupante observée au Bénin.

Vous évoquez notamment le rapport « Monitoring de l’Autocratisation en Afrique de l’Ouest », publié par la fondation OSIWA début décembre, qui s’appuie sur la base de données de l’institut V-Dem.

Tout à fait. Selon ce rapport, le Bénin et le Mali, dans cet ordre, ont connu les deux plus brutales chutes de l’indice de démocratie libérale entre 2010 et 2020. Une régression prononcée depuis 2017 au Bénin, qui a désormais le troisième score le plus faible de la région ouest-africaine, devant le Togo et la Guinée.

Le rapport indique que « l’affaiblissement des contraintes judiciaires et législatives sur l’exécutif a été particulièrement préjudiciable à la démocratie béninoise ». Cela signifie en clair qu’il n’y a plus grand chose en face du pouvoir exécutif.

Au-delà du Bénin, et même de l’Afrique de l’Ouest, la question de l’efficacité, de l’intégrité et de l’indépendance des institutions judiciaires devrait figurer très haut dans le débat public sur l’édification de sociétés démocratiques et stables

Absolument. Je crois que tout le monde ne se rend pas compte de ce que signifie concrètement l’affaiblissement des institutions qui sont chargées de protéger les droits et les libertés des citoyens. Le pouvoir exécutif dispose des forces de police, des forces armées, des services de renseignement. Lorsqu’il ne peut plus être quelque peu contraint dans ses actions par des institutions judiciaires et par une cour constitutionnelle, plus personne n’est à l’abri de l’arbitraire qui peut prendre la forme d’une détention dans les conditions désastreuses que l’on sait.

Dans tous les pays qui voudraient bâtir de véritables États de droit, il me semble nécessaire d’explorer des pistes audacieuses concernant la justice. Je trouve par exemple très intéressantes les réflexions de Dominique Rousseau, un professeur de droit constitutionnel français qui ne se laisse pas enfermer dans le conformisme de nombre de ses pairs.

Il propose la suppression du ministère de la Justice, parce que selon lui, la justice doit être neutre, impartiale, objective alors qu’un gouvernement est légitimement partial et partisan. Il faut donc sortir la justice du gouvernement pour confier la gestion du service public de la justice à une autorité constitutionnelle.

Si cette proposition a pu émerger dans le contexte de l’analyse de la démocratie française où existe le soupçon d’une influence du pouvoir politique sur la justice, elle me semble être encore plus pertinente dans les pays francophones africains où on a passé depuis longtemps de l’étape du soupçon à celle de la certitude sur le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et sur son obsolescence programmée.

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