Mali: le spectre d’un cycle sans fin d’instabilité
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Vous évoquiez la semaine dernière une année de lourdes incertitudes qui commençait pour le Sahel. La Cédéao a décidé de sévères sanctions contre le gouvernement malien dimanche dernier à Accra. Ce nouvel épisode accroît l’incertitude même à très court terme.

En effet. Incertitude, tensions, polarisation, gesticulations, manipulations et aggravation des risques… C’est ce qui caractérise la situation malienne depuis les décisions fortes de l’organisation régionale, ou plus exactement des deux organisations régionales, la Cédéao et l’Union économique et monétaire ouest-africaine, UEMOA. En entrant en action, l’UEMOA, qui regroupe les huit pays qui utilisent le franc CFA en Afrique de l’Ouest, a donné une nouvelle ampleur aux sanctions, ajoutant le gel des avoirs du pays à la banque centrale régionale et la suspension de toutes les transactions financières des pays membres avec le Mali.
Ces sanctions sont très dures et elles affectent les populations bien au-delà des dirigeants de la transition. Alors oui, comme beaucoup le rappellent, en proposant d’organiser les élections en 2026 au terme d’une transition qui durerait dans ce cas 6 ans et demi au total, les colonels qui dirigent le pays sont les premiers responsables de l’isolement du Mali. Il n’en reste pas moins que l’ampleur de ces sanctions dans le contexte d’un pays profondément en crise, divisé, avec des populations qui se débrouillent pour la plupart quotidiennement pour survivre, me semble excessive, voire dangereuse.
Ces sanctions ont renforcé dans leurs certitudes les partisans les plus résolus des militaires au pouvoir, convaincus que le colonel Goïta est le sauveur du Mali qui ne devrait faire l’objet d’aucune pression, mais aussi les convictions de ceux qui pensent que des élections organisées au plus vite sont la meilleure solution de sortie de la crise politique. Ces deux postures totalement opposées ne peuvent qu’entretenir une impasse dangereuse.
La voie de la sagesse est sans doute celle d’un dialogue inter-malien élargi à ceux qui, dans la classe politique, dans la société civile et au sein des groupes armés du nord signataires des accords de paix, avaient rejeté l’agenda du pouvoir de Bamako et boycotté les Assises de la refondation. La relance du dialogue pourrait être facilitée par un nouvel acteur extérieur perçu comme neutre et crédible.
Vous adhérez au propos du Représentant spécial du Secrétaire général pour le Mali, El-Ghassim Wane, qui a évoqué devant le Conseil de sécurité le 11 janvier dernier « un cycle sans fin d’instabilité »
Tout à fait. Le diplomate ne faisait pas spécifiquement référence aux sanctions, mais à la situation générale du pays. Il a rappelé qu’une décennie après le début des affrontements au Mali, l’espoir d'une résolution rapide des conflits ne s’est pas concrétisé et qu’au contraire, « l'insécurité s'est étendue, la situation humanitaire s'est détériorée, de plus en plus d'enfants ne sont pas scolarisés et le pays est affecté par un cycle sans fin d'instabilité. »
S’agissant du blocage politique actuel, il a estimé qu’« une impasse prolongée rendra beaucoup plus difficile la recherche d'une issue consensuelle, tout en augmentant les difficultés de la population et en affaiblissant davantage les capacités de l'État », un scénario qui aurait « des conséquences de grande ampleur pour le Mali et ses voisins ». C’est une lecture tout à fait réaliste.
Vous alertez aussi contre le risque de la poursuite d’un affaiblissement de l’organisation régionale ouest-africaine
Absolument. Beaucoup de citoyens des pays membres doutent de la capacité et même de la volonté des plus hautes autorités politiques des pays de la communauté de défendre les intérêts stratégiques de la région dans un horizon temporel qui dépasse celui de l’exercice de leur pouvoir. Dans des pays où on n’a pas investi suffisamment dans l’éducation, la formation et la création d’opportunités économiques, où des millions de jeunes légitimement frustrés et inoccupés cherchent des réponses, des réincarnations de Sankara et des boucs-émissaires, il faut agir avec une grande prudence, tous les scénarios n’étant pas prévisibles.
Et dans une perspective plus large, tout ce qui fragilise l’intégration régionale et la conscience d’une communauté de destin en Afrique de l’Ouest approfondit la faiblesse de chacun des pays de la région dans ses relations avec les puissances extérieures, qu’elles soient grandes, moyennes ou émergentes, anciennes ou nouvelles, accompagnées ou non de mercenaires.
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