Allégations d’exactions graves au Mali: établir les faits et refuser toute instrumentalisation
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Vous revenez sur ces accusations d’exactions graves qui auraient été commises par des forces maliennes dans un village du centre du Mali.

Oui, absolument. Les accusations portées sur les forces armées maliennes sont extrêmement graves. Selon les organisations de défense des droits de l’homme, entre le 27 et le 31 mars dernier, des opérations menées par les forces maliennes visant des groupes armés auraient abouti à la mort de nombreux civils à Moura, dans le cercle de Djenné, dans la région de Mopti. L’armée malienne a indiqué le 1er avril qu’elle avait mené des actions aéroterrestres et annoncé un bilan de 203 membres de « groupes armés terroristes » tués et de 51 arrestations. L’état-major a ensuite réfuté toutes les accusations portées par les organisations de défense des droits de l’homme. Le 6 avril, un communiqué du tribunal militaire de Mopti a fini par annoncer l’ouverture d’enquêtes sur ces évènements.
Vous estimez qu’il est essentiel de faire la lumière sur ce nouvel épisode meurtrier au centre du Mali
Oui, faire la lumière sur les faits de Moura est indispensable, comme pour tous les autres épisodes de violences graves commises dans toutes les régions du Mali, et quels que soient les auteurs présumés de ces crimes. C’est d’ailleurs aussi vrai au Burkina Faso, au Niger qu’au Mali. Et ces tragédies ne datent pas seulement de l’arrivée des pouvoirs militaires. Il faut aussi le dire.
Dans un contexte où beaucoup d’opinions se forment spontanément avec certitude et avec un dédain manifeste pour la recherche de la vérité, il me semble impératif de rappeler que la documentation des faits est la première exigence.
Il faut aussi faire quelques clarifications : des soldats lors d’une opération militaire peuvent tuer par méprise ou par peur des civils dont ils ne savent pas nécessairement s’ils sont des combattants. Mais on s’attend à ce que tous les efforts soient faits pour cibler seulement les combattants armés.
Lorsque les forces armées attaquent par voie aérienne, le même principe de précaution oblige à tout faire pour éviter de tuer des civils. Et ce n’est pas toujours le cas. On se rappelle de la frappe aérienne de l’opération Barkhane du 3 janvier 2022 près du village de Bounty où se célébrait un mariage. 22 personnes avaient été tuées. Le rapport d’enquête de la Mission des Nations Unies au Mali (Minusma) avait conclu que la force française avait frappé un rassemblement « très majoritairement composé de civils ».
Mais c’est encore autre chose pour des militaires que d’arrêter dans un village des présumés combattants ou complices des groupes armés, de les embarquer vivants et de les exécuter froidement. Dans ce cas, il s’agit potentiellement de crimes de guerre. Dans le cas de Moura, ce sont des faits de cette nature qui ont été rapportés. Ces faits ne sont pas confirmés, et c’est pour cela qu’il est absolument nécessaire que la vérité soit établie.
Vous mettez en garde contre toute instrumentalisation et toute distraction de ce qui est crucial pour les perspectives de paix, de sécurité et de réconciliation au Mali et au Sahel.
Tout à fait. L’instrumentalisation de chaque événement qui concerne le Mali, autant par les adversaires résolus des autorités de transition que par leurs laudateurs les plus passionnés, n’aide point. Il s’agit de ne pas se laisser distraire ni par ceux qui confondent patriotisme et validation de toutes les dérives, ni par ceux qui se préoccupent bien davantage de rivalités géopolitiques que de l’avenir des populations du Mali et de toute la région.
Accepter des justifications des crimes les plus odieux au Sahel, c’est créer les conditions pour des décennies de violence parce que ceux qui sont abattus sans raison ont des proches, appartiennent à des communautés qui se refermeront davantage sur elles-mêmes et ne manqueront pas l’occasion de prendre leur revanche avec la même violence indiscriminée, absurde et passionnelle. Comme le rappelle une nouvelle fois la Coalition citoyenne pour le Sahel dans une déclaration le 8 avril, l’impunité nourrit la défiance des populations envers l’État, exacerbe les tensions communautaires et contribue à entretenir une spirale de violences qui facilite le recrutement par les groupes armés ».
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