Ça fait débat avec Wathi

Oui, les mouvements citoyens africains sont bien porteurs d’une réinvention du politique

Publié le :

Vous avez organisé le 27 avril dernier, en partenariat avec le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), une table ronde en ligne sur les mouvements citoyens africains et la réinvention de la politique par la jeunesse. L’occasion de faire un bilan d’étape de ces mouvements citoyens ?

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga
Publicité

Oui, je rappelle d’abord que nous avons organisé cette rencontre virtuelle à l’occasion de la publication d’un livre coécrit par Michel Luntumbue et Claire Kupper, dans le cadre d’un projet de recherche du GRIP. Nous avons invité les représentants de quatre mouvements citoyens bien connus sur le continent : La Lucha et Filimbi, tous les deux de la République démocratique du Congo, Le balai citoyen du Burkina Faso et Y’en a marre, mouvement pionnier au Sénégal. 

Lorsque j’ai demandé à Micheline Mwendike, militante de la Lucha, quel bilan elle tirait de dix années de lutte, elle a répondu ceci : « Je vois dix ans de victoire. Nous évoluons dans un système qui est hostile à notre présence, le fait d’exister depuis dix ans est une victoire ». La deuxième victoire, nous a-t-elle dit, c’est le fait de pouvoir imposer des sujets dans l’espace public. Il y a bien sûr eu aussi la lutte pour les élections et l’alternance politique en RDC qui a bel et bien produit un changement avec le départ de Joseph Kabila. 

Même si la lutte pour l’alternance politique a été bien plus médiatisée que les autres actions, la Lucha s’est mobilisée sur de nombreuses autres questions essentielles, comme l’accès à l’eau à Goma, la construction de routes, la fin des violences à l’est du Congo, relayant les préoccupations quotidiennes des populations.   

Floribert Anzuluni, co-fondateur de Filimbi, Astou Faye de Y’en a marre tout comme Ousmane Lankoandé du Balai citoyen, ont tous rappelé que ces organisations étaient au départ des mouvements de contestation en réaction aux conditions de vie des citoyens dans des pays très majoritairement jeunes. N’ayant pas de relais au niveau politique, comme au niveau de la société civile, des jeunes ont décidé de créer leurs propres relais avec les moyens du bord. 

Les animateurs de ces mouvements prennent des risques parfois vitaux qui ne sont pas appréciés à leur juste valeur, dites-vous.

Absolument. Beaucoup formulent des critiques faciles sur les jeunes initiateurs de ces mouvements qui évoluent dans des environnements hostiles où les forces de sécurité n’hésitent pas à matraquer, et même à ouvrir le feu sur des manifestants non armés. Alors même si le degré de risque varie selon que l’on se mobilise contre l’injustice et l’arbitraire à Goma, à Beni, à Kinshasa en RDC, à Ouagadougou ou à Dakar, partout l’engagement dans ces mouvements induit des risques majeurs. 

Et les changements politiques, même significatifs, n’entraînent pas nécessairement les changements espérés dans l’attitude hostile des gouvernants et d’autres intérêts puissants à l’égard des mouvements contestataires. Micheline Mwendike et Flobert Anzulini ont rappelé que douze personnes avaient été récemment condamnées à un an de prison pour avoir demandé la fin des massacres à Beni. Un policier a abattu un jeune manifestant dans la même ville. Et deux militants de la Lucha ont été arrêtés il y a quelques mois parce qu’ils avaient dénoncé sur Twitter des faits de corruption impliquant la fondation de l’épouse du président actuel. 

Vous relevez qu’il y a beaucoup de clarté et de lucidité de la part des animateurs des mouvements citoyens sur le besoin de travailler dans la durée pour des changements de système.

Oui, tout à fait. Les animateurs de ces mouvements ont une conscience claire du besoin de travailler au changement de systèmes et de pratiques politiques, au-delà de résultats immédiats comme des changements de régimes. Cela veut dire travailler dans la durée, adapter leurs modes d’action aux contextes nationaux et assumer la volonté de faire émerger des acteurs politiques patriotes dans le bon sens du terme. Alors oui, la réinvention de la politique en Afrique passera par l’état d’esprit de cette nouvelle génération. Et par la non-reproduction par celle-ci de la marginalisation des femmes dans les instances de décision à tous les niveaux.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI