Ça fait débat avec Wathi

À propos de blé, de pain et d’absurdes dépendances

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Vous revenez sur les impacts de la guerre en Ukraine, sur les économies africaines. Vous avez aussi récemment partagé, sur le site de Wathi, une étude du Policy Center for the New South, un think tank basé au Maroc, sur les conséquences du conflit pour l’approvisionnement de l’Afrique en blé.

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga
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En effet, ce conflit qui s’inscrit désormais clairement dans la durée, a déjà et aura des conséquences incalculables sur le plan géopolitique mais aussi sur le plan économique et social partout dans le monde, notamment à travers les prix d’un certain nombre de produits essentiels. 

La réduction brutale de l’offre, qu’elle soit immédiate ou anticipée, conduit inévitablement à une augmentation des prix, à demande constante. Ce document du Policy Center for New South nous a intéressé particulièrement pour son caractère informatif sur le marché du blé, céréale majeure utilisée largement pour la fabrication du pain, aliment populaire quotidien et quasiment vital dans les zones urbaines africaines. 

Selon les données de 2020, le marché de l’exportation de blé est dominé par huit acteurs, les trois premiers étant la Russie, les États-Unis et le Canada. Devant la France et l’Ukraine, puis l’Australie, l’Argentine et l’Allemagne. La Russie et l’Ukraine représentent ensemble 35% des exportations mondiales de blé. 

Vingt-six pays, tous continents confondus, dépendent à plus de 55% de la Russie et de l’Ukraine pour leur approvisionnement en blé. En Afrique, l’Érythrée est le seul pays africain dépendant à 100% des importations du blé russe ou ukrainien. Deux pays dépendent à 90 % du blé russe ou ukrainien, la Somalie et les Seychelles. 

Pour quatre autres pays africains, la République démocratique du Congo, l’Égypte, Madagascar et le Bénin, le taux de dépendance du blé russe ou ukrainien est compris entre 75% et 85%. Au total, ce sont 16 pays africains regroupant 374 millions d’habitants, soit près de 40% de la population africaine, qui dépendent à 56% et plus du blé russe et ukrainien.

Trois pays africains sont de gros importateurs de blé, mais ont su diversifier la source de leurs importations et font aussi des efforts appréciables pour développer leur production locale

Oui, il s'agit, selon le document du Policy Center de l’Algérie, du Maroc et du Nigeria, qui sont respectivement au deuxième, troisième et quatrième rangs africains en matières d’importations de blé, mais qui s’approvisionnent auprès de plusieurs fournisseurs. Le Maroc produit aussi du blé en quantité variable selon les conditions climatiques et a réussi à diminuer, par exemple, ses importations de blé en 2021. 

Si la diversification des fournisseurs est à encourager, la réponse structurelle réside dans la hausse de la production locale du blé là où les conditions climatiques le permettent et surtout dans la substitution du blé par la large palette de céréales et même de tubercules utilisables dans la fabrication de farine à pain.

Depuis plusieurs semaines, on entend et on voit des reportages sur les boulangers qui, au Cameroun, fabriquent du pain à base de farine de manioc. Au Sénégal ou ailleurs, ils fabriquent du pain à base de farine de mil, de maïs ou de niébé.

Oui, ces reportages sont sympathiques et utiles, mais c’est un peu déprimant de faire semblant de redécouvrir les céréales locales à l’occasion de chaque crise internationale majeure, qu’il s’agisse de crise sanitaire ou de choc géopolitique. Alors même qu’on sait par ailleurs que ces céréales sont pour la plupart plus riches du point de vue nutritionnel que le blé importé de très loin.  

Depuis des années, des entrepreneurs courageux innovent et proposent du pain composé au moins en partie de diverses céréales locales, sans bénéficier de la moindre politique publique de soutien. L’enjeu, c’est de passer d’un marché de niche à une production à grande échelle et cela ne peut passer que par des politiques publiques, notamment agro-industrielles qui en font un objectif stratégique pour les économies nationales. 

Les campagnes en faveur de la consommation locale resteront anecdotiques si elles ne sont pas accompagnées par des politiques économiques nationales et régionales cohérentes. Il s’agit de stimuler l’investissement dans des secteurs prioritaires pour la réduction des dépendances, le développement du tissu productif local et la création d’emplois.

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