Ça fait débat avec Wathi

Entre poser les bases d’un nouveau Mali ou confisquer le pouvoir, le moment de choisir

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Le 29 juin dernier, le président de la transition Assimi Goïta a nommé les membres d’une commission chargée d’élaborer un avant-projet de loi portant Constitution de la République du Mali avec un délai de deux mois. Gilles Yabi, si vous estimez que le Mali a besoin de réformes institutionnelles et politiques profondes, vous avez des doutes sur la direction empruntée en ce moment…

Gilles Yabi.
Gilles Yabi. Archive de Gilles Yabi
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Dans une tribune que j’avais écrite en août 2020, je rappelais que le Mali de 2020 n’était ni la Suède, ni le Canada, ni le Ghana, ni le Botswana ou le Cap-Vert, que c’était un pays en crise profonde qui avait besoin de « construire, avec ce qu’il a aujourd’hui comme ressources humaines mobilisables, un nouvel État efficace et bienveillant ainsi qu’un nouveau système politique démocratique ». Et cet agenda n’était pas compatible avec l’exigence d’une transition focalisée sur l’organisation d’élections le plus vite possible. Évidemment cette analyse peut aussi bien être défendue de bonne foi par ceux qui souhaitent un Mali qui emprunte le chemin de la convalescence que récupérée par ceux qui souhaitent une transition la plus longue possible pour profiter du pouvoir, s’enrichir à grande vitesse et éventuellement créer les conditions pour demeurer au pouvoir après la transition. Rien ne permet à priori de savoir, au sein du cercle dirigeant à Bamako, qui croit à un agenda de réformes et qui est là juste pour changer de manière spectaculaire le niveau de confort matériel de sa famille. Mais on n’a pas l’impression que le chantier de l’élaboration d’une nouvelle constitution se situe très haut dans la liste des priorités des autorités. 

Vous publiez depuis quelques semaines sur vos pages sur les réseaux sociaux les pistes d’action proposées par Wathi en 2018 en matière de changements constitutionnels en Afrique de l’Ouest. Vous rappelez la nécessité d’avoir de l’ambition lorsqu’on a l’occasion de rédiger une nouvelle Constitution et de faire preuve d’audace et de créativité…

Oui. Franchement, en observant les pratiques politiques, le dysfonctionnement des institutions, les collusions entre les acteurs politiques et les acteurs économiques dominants, et en regardant la situation sécuritaire, économique et sociale aujourd’hui dans beaucoup de pays de la région et pas seulement au Mali, je ne vois pas comment les systèmes politiques tels qu’ils sont organisés par les Constitutions actuelles permettront de remettre la poursuite de l’intérêt général au cœur de l’action politique.

Les pays de la région ont besoin de démocratie substantielle et ont aussi un besoin vital d’État fonctionnel. Ils ont besoin de cadres institutionnels capables de les préserver des catastrophes sécuritaires, économiques et sociales, même lorsque se retrouvent à leur tête des chefs d’État démocratiquement élus qui se révèlent désastreux, par incapacité ou parce que le bien-être de la population n’est pas leur souci principal. Il faut reconnaître que dans les contextes qui sont les nôtres, même des élections propres auront peu de chance d’aboutir à des changements significatifs dans la gouvernance publique.

Le Mali, comme les pays francophones de la région, doivent avoir l’ambition de rompre avec les constitutions molles qui proclament des principes généraux et font l’hypothèse que les acteurs politiques ne les violeront pas allégrement. Les Constitutions sont cruciales non seulement pour affirmer les grands principes et les choix sociétaux fondamentaux, mais aussi pour encadrer strictement les décisions des gouvernants, des élus et de tous ceux qui exercent une fonction publique par un ensemble cohérent d’institutions et de règles. Les textes constitutionnels du Mali et des autres pays de la région doivent avoir comme objectif explicite d’empêcher l’ancrage définitif de pratiques politiques toxiques qui sapent la confiance dans les systèmes politiques démocratiques.

Vous craignez que cette ambition de refondation des institutions ne soit pas celle des dirigeants de la transition au Mali ?      

On ne peut pas reprocher aux autorités maliennes d’être surtout présentes sur le terrain de l’affirmation de la souveraineté de l’État malien, mais la bataille pour la souveraineté à coups de communiqués ne suffira pas à restaurer la sécurité sur l’ensemble du territoire, à relancer l’économie, à poser les jalons du Mali nouveau, le fameux « Mali koura » rêvé par les jeunes. Cela devrait passer par un véritable débat public structuré sur la future constitution du pays.

Lien vers les publications de WATHI sur les réformes politiques et institutionnelles :

Constitutions

Covid-Gouvernance Politique

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