Ça fait débat avec Wathi

En Afrique de l’Ouest: se saisir de ce moment d’interrogation sur les tendances politiques pour poser les problèmes de fond

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Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi © Samuelle Paul
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RFI : dans un entretien publié dans la Revue internationale et stratégique de l’IRIS, Think-tank indépendant français, vous estimez que la situation en Afrique de l’Ouest aujourd’hui exige de se donner comme ambition de construire des États efficaces et des démocraties substantielles…

Gilles Yabi : Oui, je pense que les deux chantiers sont aussi importants l’un que l’autre, qu’ils sont différents mais complémentaires. Et qu’on doit intégrer explicitement dans l’agenda de construction démocratique celui du renforcement de la structuration des États de manière à les rendre capables de produire des politiques publiques de qualité dans tous les domaines, de la sécurité au développement économique, de la santé à l’éducation ou à l’aménagement du territoire. Plus qu’une crise de la démocratie – qui est presque partout très fragile – je crois qu’on fait face à une crise des systèmes politiques dont on ne prend peut-être toujours pas la pleine mesure.

Il faut aussi prendre en compte la diversité des situations nationales, dites-vous.

Oui, nous avons en Afrique de l’Ouest plusieurs groupes : des pays en grave crise sécuritaire et politique qui sont aujourd’hui embarqués dans des transitions à l’issue incertaine, des pays qui régressent de manière parfois spectaculaire sur le plan du fonctionnement démocratique et de l’État de droit, et des pays qui ne semblent pas continuer à renforcer leurs institutions démocratiques avec un risque que la stagnation conduise ensuite à une régression. Lorsque la perception des populations est celle de pratiques politiques qui s’accompagnent de corruption, d’accaparement de l’État, d’approfondissement des inégalités et des frustrations sociales dans des contextes économiques difficiles, le contenu que l’on donne à la démocratie devient le véritable sujet d’intérêt. Dans le contexte d’une région où nous devons continuer à construire des États capables d’agir, à créer du lien entre des groupes ethnoculturels très variés coexistant sur un même territoire, à bâtir des économies productives et fortes, nous avons besoin de démocraties substantielles, plus charpentées qu’ailleurs. Cela veut dire que l’on ne peut pas continuer à affecter quasiment toute l’attention et les ressources à l’organisation des élections, sans même se préoccuper de questions aussi déterminantes que l’encadrement du financement des activités politiques, la régulation des partis, la neutralité des administrations et des institutions judiciaires.

Autour du réseau « Tournons la page », un collectif de mouvements et d’organisations de la société civile vient de lancer une campagne citoyenne pour faire de la limitation des mandats un principe de convergence constitutionnelle dans l’espace de la Cédéao. Et un réseau de solidarité pour la défense de la démocratie WADEMOS, réunissant plusieurs organisations, sera officiellement lancé le 14 septembre à Accra. Des initiatives qui sont la manifestation d’une véritable inquiétude aujourd’hui quant aux tendances politiques dans la région.

Tout à fait. Ces initiatives sont salutaires. De notre point de vue, il faut profiter de ce moment d’interrogation sur la démocratie pour aller plus loin et interroger les pratiques politiques et leurs liens avec le fonctionnement des administrations publiques, avec le fonctionnement des économies et avec l’évolution de nos sociétés sur le plan des valeurs. Derrière les manipulations constitutionnelles pour se maintenir au pouvoir, derrière les désillusions qui créent les conditions pour des coups d’État militaires et derrière les désillusions qui s’installent quelques mois après les coups d’État, se cachent les travers fondamentaux des pratiques réelles : l’extrême concentration du pouvoir dans les mains d’un chef, la dépendance des acteurs économiques à l’égard du pouvoir politique, l’extrême faiblesse de toutes les institutions, notamment la justice, l’incapacité voulue des institutions de contrôle des comptes publics, la politisation des administrations, l’absence d’un investissement sérieux dans la construction de la citoyenneté à travers l’éducation civique et l’éducation tout court. Défendre le choix de la démocratie aujourd’hui impose de ne pas confondre la forme et le fond et d’engager toutes les couches de nos sociétés dans un débat public sur les options politiques qui ont le plus de chances d’améliorer le bien-être collectif aujourd’hui et demain.

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