Ça fait débat avec Wathi

Guinée: un procès pour l’histoire et pour ouvrir enfin une nouvelle page?

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Le 28 septembre dernier s’est ouvert à Conakry le procès du massacre du 28 septembre 2009, exactement treize ans plus tôt.

Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi © Samuelle Paul
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RFI : Vous estimez vous aussi que ce procès est historique pour la Guinée et pour toute l’Afrique de l’Ouest

Oui, l’adjectif historique n’est pas cette fois galvaudé. Ce procès est historique compte tenu de la gravité des crimes qui ont été commis, de la qualité des personnes poursuivies, et de la culture d’impunité bien installée dans ce pays depuis le régime de Sékou Touré, premier président de la Guinée indépendante.

La présence de Moussa Dadis Camara et des autres protagonistes les plus connus de cette période sombre donne aux victimes survivantes et à leurs proches l’espoir d’approcher un peu plus de la vérité sur ce qu’il s’est passé ce jour-là au stade de Conakry. La tenue du procès qui reprendra le 4 octobre devrait permettre de parler des faits, de soldats qui ouvrent le feu sur des civils non armés dans un stade en plein jour, qui piègent des femmes, les agressent sexuellement, séquestrent certaines pendant plusieurs jours.

Par les temps qui courent, parler des faits, de violations de droits humains fondamentaux et de l’impératif pour les hommes en tenue de ne pas se penser autorisés à brutaliser ou à tuer les civils, cela est essentiel. Dans une région ouest-africaine devenue le paradis d’influenceurs qui embarquent avec aisance des milliers, voire des millions de jeunes dans le désintérêt pour les faits et la négation parfois de crimes, examiner froidement un épisode comme celui du 28 septembre 2009 a une vertu pédagogique.

Vous écriviez dans une tribune en 2009, au lendemain du massacre du 28 septembre, que cette tuerie était le résultat d’au moins deux facteurs distincts. L’un conjoncturel : la détermination des chefs de la junte de Dadis Camara à s’accrocher au pouvoir. L’autre structurel : la culture de violence, d’impunité et de toute puissance de l’armée qui constituait le pire cadeau empoisonné de Lansana Conté à son pays

Oui, ceux qui ont suivi de près, comme ce fut mon cas, la fin de règne de Lansana Conté, se souviennent de la répression meurtrière des manifestations de janvier et février 2007, quand des soldats de la garde présidentielle avaient ouvert le feu sur des jeunes à Conakry et dans plusieurs autres villes du pays. Ces évènements avaient fait selon un bilan officiel 137 morts et 1 667 blessés. Pas de responsables, pas de justice et c’est sans surprise que deux ans plus tard, les soldats s’autorisaient un nouveau massacre. Le propos sur les dangers de l’impunité n’est pas une lubie des défenseurs des droits humains. L’impunité, sur tous les continents, tue. Elle détruit les sociétés. C’est elle qui achève de détruire la confiance entre les représentants des États et des communautés entières dans plusieurs pays du Sahel. C’est elle qui enferme les pays dans la logique des règlements de comptes sans fin.

Paradoxalement, ce procès historique se tient alors que la Guinée est dirigée par une junte militaire. C’est un bon point pour le pouvoir du colonel Doumbouya ?

Le régime militaire actuel a eu le flair de ne pas empêcher la tenue du procès et même d’en faire l’occasion rêvée de se faire bien voir sur la scène nationale et sur la scène internationale. Mais l'une des leçons du 28 septembre 2009, c’est que les périodes d’exception pendant lesquelles les militaires exercent le pouvoir politique sont aussi les celles pendant lesquelles les hommes en tenue se pensent encore plus intouchables que d’habitude.

C’est pour cela que la tenue de ce procès ne change rien à la nécessité pour les acteurs de la société guinéenne de continuer à demander au colonel Doumbouya une feuille de route et un calendrier pour la suite et la fin de la transition, qui a commencé depuis un an. Le déploiement massif de soldats encagoulés des forces spéciales à Conakry rappelle autant les années Conté que les années Dadis. À Conakry, à Ouagadougou ou à Bamako, les pouvoirs militaires en place, je vais éviter le mot qui fâche, n’ont encore ramené ni la sécurité, ni la stabilité, ni la sérénité.

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