Ça fait débat avec Wathi

Le Tchad d’après (transition) pourrait beaucoup ressembler au Tchad d’avant…

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Le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a gracié le 27 mars 259 des 262 manifestants condamnés à des peines de prison ferme après une manifestation contre le pouvoir violemment réprimée en octobre 2022. C’est un geste d’apaisement qui va dans le bon sens mais qui ne signifie en rien, dites-vous, que la transition politique en cours augure d’une véritable volonté de rupture avec la gouvernance des dernières décennies. 

Gilles Yabi.
Gilles Yabi. Archive de Gilles Yabi
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En effet. Le ministre de la Communication a parlé d’un geste de pardon « pour permettre à tous les fils et filles du Tchad de bâtir leur pays sur des nouvelles bases », mais la réalité est que les nombreuses familles éplorées après la répression meurtrière du 20 octobre, celles qui sont pendant des semaines restées dans l’incertitude sur le sort de leurs enfants, réclament surtout la vérité et la justice. Le bilan reste approximatif mais selon le rapport de la Commission nationale des droits de l’homme du Tchad, institution officielle, 128 personnes au moins ont été tuées. 

Parmi les personnes qui ont été arrêtées et transférées dans une prison de haute sécurité en plein désert à 600 kilomètres au nord de N’Djamena, la commission a révélé que « quatre corps sans vie sont arrivés à Koro-Toro, des personnes décédées en cours de route et huit sont décédées en détention suite à des mauvais traitements ». Les survivants qui viennent d’être graciés avaient été jugés après un mois et demi de détention dans un procès de masse expéditif. 

Selon vous, le pouvoir de Ndjamena est en train de créer les conditions pour que le Tchad d’après 2024, terme prévu pour la transition, ne soit pas différent de celui des dernières décennies...

Tout à fait. Lorsqu’on lit l’entretien accordé il y a quelques semaines par le président Mahamat Idriss Déby Itno au magazine Jeune Afrique, on n’a pas le sentiment d’un début de changement dans la conception de l’exercice du pouvoir qui a caractérisé la gouvernance du Tchad quasiment depuis l’indépendance. Le président de transition estime que les forces de sécurité ont réagi en « légitime défense » lors des manifestations du 20 octobre qualifiées de tentative de coup d’État. Pour le chef de l’État, « Les responsables, les coupables de tous ces morts et blessés, ce sont ceux qui les ont jetés dans la rue avec pour objectif assumé d’en faire des martyrs… ». Pas de mot de compassion. Pas de début de reconnaissance d’une responsabilité des forces de sécurité.

Le Tchad d’après pourrait beaucoup ressembler au Tchad d’avant avec un rajeunissement naturel des cadres militaires et civils et un peu plus d’inclusion d’élites de différentes régions. Cela permettrait de faire semblant de changer tout en ne changeant pas les fondamentaux du pouvoir politique et économique. Les engagements sur le principe de l’interdiction de la candidature des dirigeants de la transition aux futures élections ont déjà été enterrés. Mahamat Déby choisira donc librement d’être candidat ou non. 

Dans une note d’analyse récente, l’Institut d’études de sécurité alerte aussi sur le risque que la transition en cours ne change rien à la militarisation du pouvoir politique…

Oui tout à fait. Dans un article publié le 27 mars, le chercheur Remadji Hoinathy estime que les investissements militaires du Tchad sont disproportionnés même si les menaces sécuritaires aux frontières sont réelles. Le budget national de 2023 fait apparaître une augmentation de plus de 20 % des crédits alloués à la défense et à la sécurité, alors que les crédits alloués à l'éducation affichent une baisse de 18 %. La politique étrangère du Tchad est aussi dominée par les questions de défense et de sécurité, avec des accords de coopération avec l’Arabie Saoudite et Israël. 

La note estime que « la dynamique actuelle rappelle celle du Tchad au début des années 1990 ; malgré une conférence nationale et une feuille de route pour un avenir politique pacifique et ouvert, le pays est retombé dans un régime autoritaire ». C’est bien cela l’enjeu aujourd’hui. Ne pas une fois de plus laisser passer l’opportunité d’entamer un nouveau départ pour un pays qui ne devrait pas seulement être perçu comme un terrain d’exercice militaire et de compétition stratégique au détriment du bien-être de ses populations. 


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