La revanche des contextes et les incohérences de l’aide au développement au Sahel
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À l'occasion du dialogue organisé par Wathi et le club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest avec Jean-Pierre Olivier de Sardan, anthropologue, co-fondateur du Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques Sociales et le développement local (LASDEL), au Niger et au Bénin, retour sur les limites et les effets pervers de l’aide au développement.

Dans cet échange avec Jean-Pierre Olivier de Sardan, visant à décrypter le fonctionnement réel des États dans les pays du Sahel, on ne pouvait pas ne pas parler du rôle des partenaires extérieurs qui financent, conçoivent au moins en partie et supervisent les projets de développement. Ce sont les banques de développement, les agences de coopération bilatérale des pays donateurs, auxquels il faut ajouter les grandes organisations internationales non gouvernementales.
Parmi ce qu'Olivier de Sardan appelle « les prisons du pouvoir » dans un de ses articles sur la politique et l’État au Niger, il y a celle des experts internationaux. Il explique que l’aide au développement est une rente qui a des effets pervers : « Plutôt que de développer les initiatives locales, l’ingéniosité populaire, ou les réformes venant de l’intérieur, l’aide au développement induit la dépendance, les stratégies de captation et l’addiction aux réformes venant de l’extérieur… Les pouvoirs successifs ont une forte tendance à se mettre à la "remorque" des bailleurs de fonds, à accepter tout projet et tout programme dès lors qu’il constitue une manne financière, quand bien même on ne croit pas à son efficacité, quand bien même on ne lèvera pas le petit doigt pour en assurer le succès. »
Cette critique de l’aide au développement est aussi au cœur du dernier ouvrage en date de ce chercheur ancré dans le terrain nigérien, intitulé La revanche des contextes.
Tout à fait. Même si ce livre d’une remarquable richesse ne se limite absolument pas à une critique de l’aide au développement. Olivier de Sardan s’appuie sur des dizaines d’études du LASDEL sur des projets de développement, des politiques publiques dans la santé, l’éducation, des réformes appuyées par des bailleurs de fonds, pour montrer les écarts très importants entre les effets attendus et l’impact réel. Ces écarts résultent d’une inadaptation des projets aux contextes dans lesquels ils doivent être mis en œuvre.
Un expert international compétent mais qui ne connaît pas la réalité du fonctionnement d’un service de maternité, d’un centre de santé, d’une école dans une localité du Niger, du Mali ou d’ailleurs, ne peut pas anticiper les effets inattendus d’une nouvelle politique censée améliorer la délivrance d’un service. Les écarts dans les résultats reflètent aussi le grand décalage entre les normes officielles et ce qu'Olivier de Sardan appelle les normes pratiques, celles qui guident au quotidien le comportement des agents de l’État.
Vous avez aussi parlé des ressources humaines des États qui sont captées par les organisations internationales, les agences de développement, et qui participent de fait à un affaiblissement des administrations publiques…
Absolument, Jean-Pierre Olivier de Sardan l’a dit très clairement lors de notre dialogue : tous les fonctionnaires ou presque rêvent de basculer du côté de l’industrie du développement, en travaillant comme salariés ou comme consultants pour des programmes sur financement extérieur, pour bénéficier de rémunérations et de conditions de travail incomparables avec celles de la fonction publique.
On ne peut pas continuer à faire semblant de ne pas voir que cette logique des projets, et l’ampleur qu’a prise l’industrie du développement dans la détermination des politiques publiques des pays africains, participent de l’affaiblissement ou au mieux du trop lent renforcement des États. Ce renforcement passe avant tout par l’intégrité et les compétences des ressources humaines dans le secteur public. Comme Olivier de Sardan, je pense qu’on ne bâtira pas des États avec des consultants. C’était le titre d’une tribune que j’avais publiée dans le magazine Jeune Afrique en 2018. L’intérêt à moyen et long terme de notre région exige de mettre la question sur la table même s’il n’y a pas de solution facile.
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