Sous Erdogan, une poussée spectaculaire de la Turquie en Afrique
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Gilles Yabi, le 14 mai dernier, le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, a frôlé la victoire au premier tour, avec 49,51% des voix, contre 44,88% pour le candidat de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu. Erdoğan qui domine le paysage politique turc depuis 2003, comme Premier ministre puis comme président depuis 2014, est favori pour conserver son fauteuil au terme du second tour prévu le 28 mai. Vous profitez de cette actualité pour décrypter les relations entre la Turquie et le continent africain.

Depuis deux ans, et encore davantage depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est difficile d’échapper aux questions des diplomates, des décideurs politiques, des chercheurs et des journalistes occidentaux sur la présence et l’influence de la Russie en Afrique. Il y a quelques années, il était essentiellement question de la présence de la Chine en Afrique.
Mais en réalité, si on s’intéresse aux dix dernières années, le pays qui a fait la poussée la plus spectaculaire en Afrique, c’est la Turquie et ses 86 millions d’habitants. Elle n’a évidemment pas un poids économique comparable à celui de la Chine. Mais sous la houlette de Recep Tayyip Erdoğan, la Turquie a déployé une stratégie diplomatique, économique et militaire ambitieuse et cohérente en Afrique. Erdoğan y a effectué plus de 40 visites officielles. Le nombre d'ambassades turques sur le continent a presque quadruplé en deux décennies, passant de 12 en 2012 à 44 cette année.
Les résultats concrets obtenus par la Turquie ont été à la hauteur de cette ambition…
Les échanges commerciaux ont enregistré une progression ininterrompue au cours des deux dernières décennies. La valeur des exportations turques vers le continent a atteint un niveau record de à 21,8 milliards de dollars en 2022, une croissance de 12,3% par rapport à l’année précédente. Un des fleurons du pays, la compagnie Turkish Airlines, a investi de manière spectaculaire le continent et couvre désormais 61 destinations en Afrique. L’aéroport d’Istanbul est désormais connu et fréquenté chaque année par des milliers d’entrepreneurs et de cadres publics et privés africains.
Dans le domaine de la défense aussi, Ankara fait de très bonnes affaires. Les exportations de défense vers l'Afrique ont triplé en un an entre 2020 et 2021, passant de 83 millions de dollars à 288 millions de dollars. Les pays en crise du Sahel font désormais partie des partenaires les plus enthousiastes dans ce domaine. Le 25 avril dernier, Haluk Bayraktar, le patron du constructeur turc de drones Baykar a reçu la médaille d’Officier de l'Ordre de l'Étalon, la plus haute distinction nationale du Burkina Faso, sur instruction du président Ibrahim Traoré. Les très populaires drones Bayraktar TB2 ont été livrés au cours des derniers mois à ce pays en guerre contre les groupes armés terroristes.
Cette stratégie d’influence de la Turquie en Afrique s’inscrit dans la durée, selon vous
Absolument. Si Erdogan a fait ce choix stratégique et donné l’impulsion politique, il est clair que les institutions publiques et le secteur privé turc sont pleinement intégrés dans la mise en œuvre. L’illustration la plus marquante de cet engagement de long terme, ce fut peut-être le lancement le 30 mars dernier de TRT Afrika, nouvelle plateforme d'information numérique de la chaine publique turque TRT dédiée à l’actualité africaine en quatre langues : swahili, anglais, haussa et français.
Mais la grande question pour les pays africains est bien sûr celle de savoir ce qu’on doit faire pour tirer parti des relations avec la Turquie. Ce serait bien affligeant d’y aller seulement pour passer commande de carreaux, de cuisines équipées, de matériaux de construction divers, de drones armés, pour faire soigner quelques privilégiés, ou pour se faire construire des aéroports, des stades ou des centres de conférence par des entreprises turques. S’inspirer de leurs politiques d’accompagnement du secteur privé fait à 90% de petites et moyennes entreprises, de la modernisation des savoir-faire traditionnels, de la valorisation du travail bien fait, de l’organisation et de l’innovation, négocier des transferts de connaissances et de la formation professionnelle pour les jeunes, voilà les pistes intéressantes à emprunter par les décideurs africains.
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► Sur le site de WATHI : La Turquie en Afrique de l’Ouest : un partenariat stratégique en pleine croissance, Marie Faucon.
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