Ça fait débat avec Wathi

Sénégal: tous les moyens ne sont pas bons pour conserver le pouvoir ou pour le conquérir

Publié le :

Le 18 mars dernier, vous alertiez sur cette antenne sur la « tentation du chaos » au Sénégal. Se rapproche-t-on du chaos aujourd’hui, Gilles Yabi, alors qu’Ousmane Sonko a appelé à une mobilisation populaire pour l’accompagner à Dakar, à quelques jours du jour du verdict du procès qui s’est déroulé en son absence le 23 mai ?

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi.
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi. © Samuelle Banga
Publicité

Heureusement, le scénario du pire n’est jamais sûr. Mais le seul fait que le scénario du chaos fasse partie des scénarios possibles est déjà très inquiétant. Parmi les différents scénarios, celui du pire me semble même plus probable que celui qui verrait la tension politique et sociale chuter à quelques mois de l’élection présidentielle de février 2024.

Je ne commenterai pas le procès pour viols de l’homme politique Ousmane Sonko dont on attend le verdict le 1er juin, ni les prolongements par des déclarations d’une indélicatesse affligeante. Le coût économique et social pour le Sénégal, en plus des vies de jeunes perdues depuis mars 2021, est déjà considérable. Des amis de certains pays voisins du Sénégal, comme des Guinéens avec lesquels j’échangeais ces derniers jours, ne comprennent pas que le Sénégal s’évertue à suivre l’exemple de la Guinée et de quelques autres pays africains avec des cycles récurrents de tensions, de manifestations, de répression, d’arrestations, de déploiement massif de forces de sécurité. 

Vous estimez qu’au-delà du sort judiciaire, et donc politique, d’Ousmane Sonko, la question la plus déterminante pour les perspectives de paix et de cohésion sociale est celle de la candidature du président Macky Sall en 2024 ?

Oui, je crois que ceux qui ne sont d’aucun camp politique, qui se préoccupent d’abord et avant tout de la paix et de la sécurité au Sénégal, ne peuvent que reconnaître la centralité de la question de l’intention prêtée au président Macky Sall d’être candidat pour un troisième mandat. Le président n’a pas dévoilé ses intentions, mais il a clairement indiqué qu’il n’y aurait pas d’obstacle juridique à une nouvelle candidature s’il décidait de solliciter un nouveau mandat.

Parmi les voix qui se sont exprimées récemment sur la situation, je trouve particulièrement clair le propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères Cheickh Tidiane Gadio, dans une interview accordée au média sénégalais iTV. Je le cite : « Je souhaite que le président Macky Sall refuse de toutes ses forces de céder aux sirènes, aux vociférations des gens qui sont autour de lui, qui lui disent que 1+1=1, que ce n’est pas un débat sur un troisième mandat, mais un débat sur le deuxième quinquennat. » Il a rappelé que le président Macky Sall avait des réalisations indéniables à mettre à son actif et qu’il avait tout pour sortir par la grande porte. C’est un plaidoyer d’une grande responsabilité.

Au moment des débats sur les troisièmes mandats des présidents Ouattara et Condé respectivement en Côte d’Ivoire et en Guinée, vous aviez titré une de vos tribunes « Troisième mandat : enGuinée et en Côte d’Ivoire, 2+1=1 ». Peut-on faire vraiment la même analyse pour le Sénégal ?

Absolument. Les professeurs de droit constitutionnel, les nationaux comme ceux que l’on va consulter à Paris, même ceux qui sont de bonne foi, peuvent tout à fait estimer que les changements de constitution permettent de remettre les compteurs à zéro en l’absence de dispositions explicites visant à empêcher cette ruse. Mais il faut dire les choses telles qu’elles sont : les reniements des gouvernants, le contournement des règles, détruisent profondément la confiance déjà fort limitée entre les populations et les gouvernants et le minimum de confiance nécessaire entre les acteurs politiques.

Tout ce qui ressemble à de la duperie détruit profondément le socle de nos sociétés. Le message est transparent : « N’ayez pas honte, n’ayez aucun scrupule, tous les moyens sont bons pour conserver le pouvoir ». Et si tous les moyens sont bons pour conserver le pouvoir, il y a des chances que les acteurs politiques qui ne sont pas au pouvoir estiment que tous les moyens sont aussi bons pour y accéder. On en est là. C’est la recette la plus sûre pour le désastre. L’Afrique de l’Ouest ne peut pas observer encore un pays de la région, un des plus stables et paisibles, choisir à son tour la voie de l’autodestruction.

► Jury du dimanche, avec Dr Cheikh Tidiane Gadio, 21 mai 2023

► 3ᵉ mandat : en Guinée et en Côte d’ivoire

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI