Ça fait débat avec Wathi

Penser des Constitutions pour les sociétés africaines de demain

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De l’impératif de penser des Constitutions pour les sociétés africaines de demain. Un référendum constitutionnel est prévu au Mali ce dimanche 18 juin. Gilles Yabi, vous aviez commenté l’avant-projet de Constitution en octobre dernier sur cette antenne et estimé que le texte n’avait « rien de choquant et rien de révolutionnaire non plus ». C’est toujours votre avis sur le texte final ? 

Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi © Samuelle Paul
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Oui, le texte n’a pas connu de changements très importants au terme des consultations et des travaux supplémentaires. On ne voit pas en quoi de fortes leçons ont été tirées d’une analyse des facteurs qui ont fragilisé le pays et qui ont fait le lit de la grave crise sécuritaire et politique qui a éclaté en 2012. Il y a certes quelques innovations dans le texte soumis au référendum mais elles sont limitées, ne remettant pas en cause notamment la concentration des pouvoirs dans les mains du président.

On a plutôt un renforcement des pouvoirs du président qui déterminera la politique de la nation, sera le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, assisté par le Conseil supérieur de la magistrature qu’il présidera. Il nommera le Président et les autres membres de la future Cour des comptes. Par contre, le président de la République ne désignera directement que deux des neuf membres de la Cour constitutionnelle dont le président sera élu par ses pairs. Ce point est plutôt positif.

Au-delà du Mali, vous estimez qu’on a encore beaucoup de mal dans les pays francophones à changer la conception de ce que l’on devrait inscrire dans les textes constitutionnels et à oser des innovations qui résultent d’une analyse fine des obstacles politiques au progrès collectif

Oui, alors on a entendu lors des débats sur la constitution malienne ce que l’on entend systématiquement quand des réformes constitutionnelles sont envisagées dans les pays de la région : « une Constitution n’a pas vocation à régler tous les problèmes », « une Constitution doit se contenter de fixer des principes généraux » ; « le problème dans nos pays, ce ne sont pas les constitutions ni les lois, c’est leur application ou plus exactement leur non-application ».

Le fait est que les Constitutions des pays francophones proclament des principes remarquables de démocratie, d’État de droit, de liberté, d’égalité, de respect de la diversité, de neutralité des administrations publiques, d’indépendance de la justice, de nominations sur la base de la compétence et de l’intégrité, mais elles laissent une marge de manœuvre immense aux acteurs politiques pour tordre le cou à ces principes dans la pratique.

On ne veut pas tirer la conclusion qui s’impose : il faut préciser dans les lois fondamentales les modalités qui vont donner des chances aux principes d’être respectés dans la vraie vie. On doit travailler sur les institutions de manière détaillée, presque chirurgicale, de manière à restreindre la capacité des acteurs politiques et des hauts responsables publics à privilégier leurs intérêts particuliers. On ne peut pas se réfugier derrière une tradition constitutionnelle héritée de l’ancien pays colonisateur pour expliquer qu’une constitution doit se limiter à l’affirmation de principes généraux.

Vous ne pensez pas non plus que la seule exigence des nouvelles constitutions africaines devrait être celle de leur adaptation aux réalités africaines. Pourquoi ?

Lors de toutes les discussions sur les Constitutions africaines, on répète à l’envi que nos institutions doivent être adaptées à nos réalités, à nos sociétés, qu’on doit se débarrasser des modèles importés et les remplacer par des institutions endogènes. Mais, le propos s’arrête souvent là sans élaborer sur ces institutions endogènes, sur ce qu’il faut concrètement changer au niveau des principes, des valeurs et des institutions.

On devrait réfléchir et délibérer sur nos institutions sur la seule base de ce que nous voulons corriger dans les pratiques politiques actuelles et des sociétés que nous voulons construire. Les Constitutions n’ont pas à s’adapter aux réalités actuelles. Elles doivent baliser le chemin qui sépare le fonctionnement actuel de nos pays du fonctionnement que nous souhaitons voir dans le futur. Et l'on ne doit pas s’interdire d’aller chercher des idées partout où vivent des humains. Dans l’aire culturelle dogonne, bambara, touarègue, peule. En Norvège, en Suisse, en Chine, au Costa Rica, au Botswana, en Afrique du Sud ou au Cap-Vert. Ce n’est pas en enfermant nos esprits dans des carcans que l'on pourra mettre en place des institutions qui permettront aux enfants africains de vivre dans le monde de l’intelligence artificielle, du changement climatique et de l’extrême complexité.

Pour aller plus loin :

De quel type de Constitution les pays d’Afrique de l’Ouest ont-ils aujourd’hui besoin ?

Les leçons de la crise de la covid-19 en matière de gouvernance en Afrique de l’Ouest,

Les dialogues de WATHI : Conversation entre Gilles Yabi et Juste Codjo autour de la « Consencratie »,

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