Démographie africaine: non aux indélicates injonctions extérieures, oui aux politiques publiques réfléchies
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Ces trois dernières semaines, Gilles Yabi a souligné des faits et des tendances démographiques dans le monde. En Afrique, il met en avant à la fois les opportunités historiques et les immenses défis résultant de la jeunesse et de la croissance rapide de la population. Il estime cependant qu’il n’y a pas d’injonctions à recevoir sur la natalité de la part des personnalités politiques occidentales. Certains propos d'Emmanuel Macron lors d’un sommet du G20 à Hambourg en 2017 avaient notamment suscité beaucoup de réactions.

En voulant expliquer à ses homologues, au monde et peut-être aussi aux Africains les problèmes de l’Afrique, le président Macron avait déclaré ceci : « Quand des pays ont encore aujourd'hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d'y dépenser des milliards d'euros, vous ne stabiliserez rien ».
Beaucoup d’acteurs politiques en Europe partagent sans aucun doute une lecture angoissée de la démographie africaine, sans d’ailleurs se soucier de l’exactitude des faits. Je crois qu’il faut faire une distinction entre les acteurs politiques qui s’émeuvent publiquement du dynamisme démographique africain d’une part et de l’autre, les experts qui examinent toutes les évolutions marquantes dans chaque partie du monde pour identifier les menaces et les opportunités pour leur pays. Ceux-là ne font que leur travail. Les pays africains devraient faire avec la même rigueur le même exercice d’analyse prospective.
Il faut par contre rappeler aux personnalités politiques européennes que les Africains, les Asiatiques et les Amérindiens – qui seront largement décimés – n’avaient pas émis des opinions sur la très forte croissance démographique en Europe au 19e siècle. Selon les estimations, la population européenne était passée de 187 millions d’individus en 1800 à 406 millions en 1900, représentant alors 25 % de la population mondiale. On sait aussi que cette croissance démographique s’est traduite par une émigration européenne massive sur tous les autres continents, inaugurant les entreprises coloniales et la traite transatlantique qui ont dépeuplé des régions entières du continent africain. La démographie mondiale a une histoire.
Mais faut-il pour autant écarter toutes les politiques qui viseraient à réguler les naissances dans les pays du continent où le rythme démographique est une contrainte à l’amélioration des conditions de vie ?
Alors un message me semble essentiel. C’est celui de l’inertie démographique. Tous les démographes expliquent que les données relatives aux populations n’évoluent que très lentement, sauf événements catastrophiques très rares, heureusement. Des politiques qui visent à influencer la croissance démographique, même les plus hardies, ont donc très peu d’impact à court et à moyen terme. La capacité des États à influencer directement les choix de reproduction des populations est fort limitée. Ces choix sont beaucoup plus influencés par les perceptions que les individus ont des changements qui s’opèrent dans leur société : les évolutions sanitaires, éducatives, économiques, environnementales, l’urbanisation…
L’exemple de la politique de l’enfant unique mise en œuvre en Chine de 1979 à 2015 est intéressant. Beaucoup de démographes estiment que cette politique n’a pas été le facteur déterminant dans l’évolution de la fécondité en Chine. Celle-ci avait déjà commencé à baisser et aurait continué à baisser même sans ce contrôle autoritaire des naissances. Et ça ne marche pas dans l’autre sens non plus. Maintenant que le gouvernement chinois encourage les couples à avoir deux enfants, les effets se font attendre. Les êtres humains ne sont pas, jusqu’à nouvel ordre, des machines qu’on peut activer et désactiver à souhait.
Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une palette de politiques publiques pertinentes qui auront des effets positifs sur les équilibres démographiques, économiques et sociaux en Afrique, dites-vous.
Tout à fait. Toutes les politiques qui peuvent permettre de rapprocher le nombre d’enfants désiré par les femmes du nombre d’enfants qu’elles ont effectivement sont tout à fait bienvenues. Cela veut dire qu’il faut continuer à élargir l’accès à l’information, aux connaissances et aux moyens de contraception. Toutes les politiques qui peuvent permettre de mettre fin aux mariages précoces suivis de grossesses précoces, qui changent définitivement et tristement les trajectoires de vie de nombreuses filles, sont à encourager vivement. L’éducation des filles et leur maintien à l’école sont essentiels. Alors non aux injonctions extérieures empreintes d’indélicatesse et d’une culture historique limitée. Mais oui à des politiques publiques issues de débats dépassionnés et informés dans les pays africains sur les implications des données démographiques.
► Pour aller plus loin :
Regards croisés sur les perspectives démographiques en Afrique et en Europe, Table ronde virtuelle, WATHI et Institut Jacques Delors
Chapitre 10. Le XIXe siècle, Précis d'histoire européenne, du 19e siècle à nos jours, sous la direction de Asselain Jean-Charles, et al. Armand Colin, 2015, pp. 319-355
Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), État de la population mondiale 2023,
Site internet de l’Institut national d’études démographiques, avec des données, des cartes interactives, des projections pour tous les pays dans le monde
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