Ça fait débat avec Wathi

Coup d’État au Niger: «Les années pagaille» en Afrique de l’Ouest

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Un nouveau coup d’État en Afrique de l’Ouest le 26 juillet qui renverse le président du Niger, Mohamed Bazoum. Un coup de massue, selon Gilles Yabi.

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga
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Un coup de massue pour le Niger, pour le Sahel, pour l’Afrique de l’Ouest, pour le continent. Les nouvelles d’abord parcellaires et incertaines de Niamey me sont parvenues alors que je participais à Dar es Salaam à un événement sur le capital humain réunissant en plus de nombreux experts et délégués, une dizaine de chefs d’État ou de gouvernement, des vice-présidents et des ministres. Un sommet organisé par la Banque mondiale et le pays hôte, la Tanzanie, qui avait pour mantra « Investir dans les personnes ». Malheureusement, il a coïncidé à un jour près avec le sommet Afrique-Russie qui a mobilisé nombre de chefs d’État et d’attention médiatique. 

Le président Mohamed Bazoum ne participait pas au sommet de Dar es Salaam, mais il y aurait eu toute sa place, ayant fait du développement du capital humain, et en particulier de l’éducation des filles, une priorité de son mandat. Il avait une conscience claire de la situation sécuritaire fragile de son pays et n’a jamais négligé les questions de sécurité et de défense, ancien ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères qu’il fut sous le président Mahamadou Issoufou. Mais Mohamed Bazoum connaissait aussi l’ampleur des faiblesses structurelles de son pays, même en comparaison avec les trois quarts des pays africains. Les indicateurs d’éducation, aussi bien en termes d’accès que de qualité des apprentissages, ou les indicateurs de nutrition, classent le Niger tout en bas des classements des pays africains. 

Ce coup de force des militaires va faire perdre beaucoup d’années au pays

Si j’ai évoqué le sommet sur le capital humain, c’est pour souligner que ce qui vient d’arriver au Niger est à la fois une des manifestations tragiques de l’investissement qu’on n’a pas suffisamment fait dans la formation des esprits des hommes et des femmes au fil des dernières décennies, et un des moyens les plus sûrs de retarder de plusieurs années encore les investissements vitaux dans le développement humain du pays. 

Ce n’est pas un an, deux ou trois qui sont perdus par un pays quand des officiers arborant leur visage des mauvais jours apparaissent à la télévision nationale. C’est dix ans, peut-être plus, qui sont perdus. Cette fois, les justifications du coup de force sont particulièrement légères : la dégradation de la situation sécuritaire et la mauvaise gouvernance. 

Oui, bien sûr, il y a certainement des choses à reprocher à la gouvernance du président Bazoum, et à celle de son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, salué pour son départ du pouvoir au terme de ses deux mandats constitutionnels mais resté un peu trop présent dans le champ politique, comme on l’entendait dans toutes les conversations à Niamey. Oui, au Niger aussi, les animateurs de la classe politique dominante depuis trente ans, alternant entre alliances, divorces, réconciliations, trahisons, font l’objet d’un rejet d’une large partie de la population, convaincue qu’ils ne pensent qu’à leurs propres intérêts.   

Oui, le Niger n’échappe pas aux attaques des groupes armés dans la région de Tillabéry. Mais son État a résisté beaucoup mieux que ses voisins malien et burkinabè. Quant à la présence de forces occidentales, françaises, allemandes, italiennes, américaines, elle n’a pas empêché le pays d’assumer également des partenariats avec la Chine, la Turquie et même la Russie. Ce n’est pas forcément un positionnement géopolitique absurde pour un pays vaste, avec des foyers d’insécurité quasiment à toutes ses frontières et des moyens humains et financiers très limités. Le fait que des officiers aient des désaccords avec certains choix du président suffit-il à justifier un coup d’État ? La réponse est évidente. 

C’est le retour progressif de la loi du plus fort qui augure d’une militarisation de l’État

Ce à quoi nous assistons dans la région, c’est bien à un retour de la loi du plus fort. C’est un fait. La différence entre un pouvoir militaire et un pouvoir civil est qu’alors que le second peut être renversé par des militaires, un régime militaire ne peut être renversé que par d’autres militaires. C’est la voie ouverte à la paranoïa permanente et à tous les abus. C’est aussi la voie ouverte à la course à l’enrichissement rapide, les périodes d’exception étant incertaines. 

Au Niger, où les militaires n’ont jamais cessé d’avoir une influence politique certaine, l’accaparement explicite du pouvoir par des officiers a toutes les chances de s’accompagner d’une militarisation à outrance de l’État et de la société. C’est comme si le Niger se donnait comme nouveau modèle, le Tchad. Ou le Soudan, un autre exemple abouti de confiscation ad vitam eternam du pouvoir par les gradés, quitte à régner sur un tapis de décombres et de cadavres.

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