Ça fait débat avec Wathi

L’indifférence et le refus de trouver des solutions aux crises migratoires tuent aussi et beaucoup

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L’actualité chargée des conflits fait oublier un drame devenu permanent, celui des milliers de migrants africains qui meurent chaque année en cherchant à rejoindre l’Europe.

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga
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On a fini par s’habituer aux nouvelles de morts de jeunes migrants après le naufrage d’embarcations de fortune. De temps en temps, l’ampleur du bilan suscite un peu plus d’attention, d’images, de reportages, et on passe à autre chose en attendant le prochain drame.

Il y a quelques mois, ce sont les traitements indignes infligés aux migrants noirs africains en Tunisie, expulsés de la ville de Sfax et abandonnés sans eau et vivres dans une zone déserte qui ont rappelé le peu de valeur accordée à la vie de certains d’entre nous, des êtres humains qui ont fondamentalement eu beaucoup de moins de chances que d’autres à la naissance. L’image bouleversante qui restera tristement emblématique de l’épisode tunisien, est celle de cette jeune femme ivoirienne étendue à côté de sa fille, mortes toutes les deux de soif.

Il n’y a pas que les attaques terroristes et les bombes qui tuent des enfants en toute impunité. L’indifférence et le refus de trouver des solutions aux crises migratoires tuent beaucoup et depuis des années. Selon l’Unicef, 11600 mineurs non accompagnés avaient tenté de se rendre en Italie entre janvier et mi-septembre 2023 à bord d'embarcations de fortune, 60 % de plus que sur la même période l'année dernière. 289 enfants sont morts lors de ces traversées. Au total, le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU estime à 2500 le nombre de migrants morts ou portés disparus entre le 1ᵉʳ janvier et le 24 septembre 2023. Le bilan de toute l’année 2022 était déjà dépassé en septembre de cette année.

Le Sénégal est particulièrement concerné par les départs massifs et les décès en mer

Oui. Pendant les six premiers mois de cette année 2023, au moins 2300 migrants ont quitté le Sénégal en direction des îles Canaries, deux fois plus que pour la même période de l’année dernière. Quelque 1100 seraient arrivés en vie selon une source espagnole citée dans un article de l’agence Associated Press. Le trajet des migrants vers l’Europe passant par les îles Canaries est redevenu populaire, après le renforcement des moyens de surveillance qui ont réduit les départs depuis le Maroc, le Sahara occidental et la Mauritanie. La ville de Saint-Louis, au nord du Sénégal, est un point de départ important pour les grandes pirogues colorées typiques de la pêche artisanale locale et les drames se sont multipliés au cours des derniers mois. Des familles endeuillées après la confirmation de décès en mer de leurs proches, d’autres angoissées pendant des mois, sans nouvelles de leurs proches. Les pirogues partent aussi de la région de Mbour et même plus au sud, à Kafountine par exemple, située à près de 1700 km des côtes des Canaries.

Vous rappelez que ceux qui partent ne sont pas des criminels, mais des jeunes qui veulent travailler et qui ont en fait des qualités individuelles particulières  

Tout à fait. À force de voir les images de ces jeunes aux visages hagards, récupérés en mer, accostant sur les côtes européennes ou ramenés au point de départ, à force de les qualifier de « migrants irréguliers », on finit par oublier qu’ils auraient bien voulu migrer légalement, ne pas prendre un risque aussi élevé de mourir. On finit par oublier qu’on ne peut pas se mettre à leur place, qu’on ne peut pas penser comme eux, parce qu’on ne vit pas sous la pression de la recherche du pain quotidien, qu’on ne vit pas sous la pression de parents qui ne travaillent pas ou plus et qui comptent sur leurs enfants pour survivre, qu’on ne peut pas ressentir la frustration de ceux qui ont compris qu’ils n’ont aucune chance d’obtenir un visa en se rendant dans un consulat.

Et on oublie que ces jeunes qui partent, qui échouent et qui sont prêts à recommencer, ne sont ni stupides ni suicidaires. Ceux qui décident de migrer ont des caractéristiques non mesurables comme la détermination, une capacité à prendre des risques, une confiance en eux, qui ressemblent beaucoup aux qualités que l’on attribue à un entrepreneur. Cela veut dire que les milliers d’Africaines et d’Africains qu’on perd chaque année dans les eaux de la Méditerranée font probablement partie de ceux qui avaient les plus grandes chances d’apporter beaucoup à leurs pays, qu’ils soient à l’extérieur, à l’intérieur ou simplement autorisés à aller et venir légalement comme tous les privilégiés qui ont le loisir de se balader dans ce monde.

 Pour aller plus loin :

► Elles s'appelaient «Fati» et «Marie» : les corps sans vie pris en photo dans le désert libyen ont été identifiés 

► Tunisie : délogés, attaqués et expulsés, les Subsahariens ne sont plus les bienvenus à Sfax 

► Plus de 2 500 hommes, femmes et enfants sont morts ou disparus en Méditerranée en 2023, selon l’ONU, 29 septembre 2023, 

► Selon l'Unicef, 289 enfants sont morts en traversant la Méditerranée en 2023

► Unmarked Senegal beach graves hold untold number of West African migrants, officials and locals say, 29 juillet 2023

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