Ça fait débat avec Wathi

Détacher le Sahel de l’Afrique de l’Ouest côtière est une triste prouesse historique

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Dimanche dernier 28 janvier, un communiqué historique des gouvernements du Mali, du Niger et du Burkina Faso annonçait la sortie simultanée de ces trois pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.

Olakounlé Gilles Yabi, économiste et analyste politique, initiateur du Wathi, nouveau think tank citoyen pour l'Afrique de l'Ouest.
Olakounlé Gilles Yabi, économiste et analyste politique, initiateur du Wathi, nouveau think tank citoyen pour l'Afrique de l'Ouest. Gilles Yabi
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Vous aviez publié une note en août 2023, au lendemain du coup d’État au Niger, avec ce titre « Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, avant de jeter la Cédéao, prenons le temps de la réflexion ». Jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est ce que ces trois pays viennent de faire ?

Oui, l’annonce était historique, mais terriblement malheureuse. Une sortie effective et durable de ces trois pays porterait un coup très dur au projet d’intégration régionale. Dans la note que vous évoquez, j’estimais que la violence des critiques à l’égard de la Cédéao pouvait aboutir à la poursuite de son affaiblissement, voire à sa dislocation, et que cela reviendrait à jeter une organisation construite laborieusement depuis le 28 mai 1975 pour incarner un projet de communauté de destin dans la partie occidentale du continent.

Je rappelais que cette organisation, au-delà des chefs d’État, avait été construite au fil des décennies par des hommes et des femmes engagés qui voyaient plus loin que les intérêts à court terme de leur pays d’origine, et qui avaient compris que l’union, même imparfaite, était préférable à logique du chacun pour soi.

Dans le domaine particulier de la paix et de la sécurité régionale, une des personnalités les plus marquantes de l’histoire de la Cédéao fut un général malien, Cheick Oumar Diarra, décédé en 2005 dans un accident d’avion au Nigeria. Secrétaire exécutif adjoint de l’organisation chargé des Affaires politiques, de la Défense et de la Sécurité, il fut l’un des artisans du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Cédéao signé en décembre 2001.

Les officiers et sous-officiers qui ont pris le pouvoir par la force ces dernières années devraient savoir que des militaires et des civils, aussi patriotes et panafricanistes qu’eux, et peut-être plus conscients des enjeux géopolitiques à long terme, les ont précédés. 

De nombreuses réactions de citoyens des pays de la région témoignent selon vous d’un malentendu profond sur ce qui relève de la responsabilité d’une organisation régionale et ce qui est la conséquence logique des réalités politiques internes des pays membres.

Oui et c’est assez étonnant que beaucoup continuent à faire comme si c’était la Cédéao qui était par exemple responsable de l’état lamentable dans lequel se trouvaient les forces armées des pays sahéliens et d’autres, au moment où les menaces sécuritaires se précisaient dans la région. Comme si la Cédéao était responsable du niveau ahurissant de la corruption et de la fraude qui ruine les États, les économies et les sociétés elles-mêmes. Comme si la Commission et les agences spécialisées de la Cédéao étaient responsables de la mise en œuvre dans chaque pays des décisions communautaires. Comme si ce n’était pas des douaniers, des policiers, des gendarmes et leurs chefs politiques qui étaient responsables de toutes les pratiques qui réduisent les bénéfices de l’intégration pour les populations. Comme si c’était l’organisation régionale qui choisissait les présidents de chacun des 15 pays membres.

L’erreur consiste à faire de la Cédéao un substitut aux États, un moyen de s’affranchir de leurs faiblesses, de leurs dysfonctionnements et du déficit de légitimité de leurs dirigeants. Une organisation régionale permet de mutualiser des ressources, de décider de stratégies et de politiques communes dans des secteurs stratégiques, de faire bloc pour défendre les intérêts de la communauté. Mais elle reste toujours dépendante de la qualité du leadership politique des États membres et de leurs capacités.

Il faut faire la différence en somme entre la critique légitime du leadership politique dans la région pendant une période donnée de l’histoire et la critique de l’organisation dans son essence, selon vous.

Absolument. Beaucoup de chefs d’État manquent de crédibilité de par leur propre gouvernance interne et une série de décisions malheureuses ont été prises ces dernières années, y compris les sanctions économiques trop dures et indiscriminées contre le Niger et le Mali et l’annonce d’une intervention militaire au Niger.

Mais cela ne suffit pas pour annihiler 49 ans de mise en œuvre d’un chantier ambitieux d’intégration régionale. Ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas la liberté de circulation des oignons et des bœufs du Sahel vers les pays côtiers et des produits importés par les pays sahéliens via les ports de leurs voisins. Ce qui se joue, c’est la fragmentation de la région dans un moment de dangereuse polarisation du monde. Le moyen le plus sûr de nous affaiblir collectivement.

Pour aller plus loin :

Une réaction à chaud en six points à l'annonce du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO, Gilles Yabi

Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, avant de jeter la CEDEAO, prenons le temps de la réflexion (1)

Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, avant de jeter la CEDEAO, prenons le temps de la réflexion (2) : l’exigence de profondes réformes

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