L’intégration régionale en Afrique de l’Ouest en danger
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Ça fait débat avec Wathi, avec Gilles Yabi qui a organisé en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE le 21 mars dernier, une table ronde virtuelle sur l’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, deux mois après l’annonce du départ simultané des trois pays du Sahel central, le Mali, le Niger et le Burkina Faso de la Cédéao.

J’avais titré une tribune publiée dans le magazine Jeune Afrique en juillet 2020 : « Sale temps pour l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », en commentant à l’époque l’incapacité pour les leaders des pays de la région de faire progresser le projet de création de l’Eco, monnaie unique et commune aux 15 pays membres de la Cédéao.
Ce titre était prématuré. C’est maintenant le vrai « sale temps pour l’intégration régionale ». Le périmètre géographique de la Cédéao pourrait être réduit à 12 pays membres, sa population totale amputée de 72 millions d’âmes et sa production de biens et services évaluée par le PIB d’environ 7% (19% si on calcule le poids économique des trois pays dans la Cédéao en excluant le mastodonte nigérian). Tout cela si les trois États sahéliens dirigés par les militaires ne changent pas d’avis d’ici fin janvier 2025. Pour le moment, ils s’en tiennent à leur départ « sans délai ».
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Vos panélistes ont tous relevé à la fois l’importance cruciale de l’intégration régionale et les accomplissements de la Cédéao dans différents domaines, mais ont aussi été très critiques sur les décisions prises par les chefs d’État au cours des dernières années…
Oui, avec des mots forts comme ceux d’Ibrahima Kane, conseiller spécial de la directrice de la fondation Open Society pour l’Afrique et acteur de la société civile ouest-africaine. « Le principal problème au niveau de la Cédéao est un problème de leadership… Le président de la commission n’a pas d’autorité, il ne choisit pas les commissaires. On a aussi un manque de mémoire parce que tous les quatre ans, les commissaires changent, avec l’impression de reprendre chaque fois à zéro… On a ensuite un problème de leadership au niveau politique. Il y avait à l’époque de vrais leaders qui orientaient la région vers plus d’intégration. Ce leadership est aujourd’hui absent. Les chefs d’État essaient de régler leurs propres problèmes, pas les problèmes de la région ». Fin de citation. Il a aussi évoqué le problème posé par les interférences extérieures, une des conséquences de la défaillance du leadership politique régional.
En somme, la Cédéao ne peut pas faire l’économie de réformes profondes, mais la région a plus que jamais besoin d’intégration dans toutes ses dimensions…
Tout à fait. Cela est ressorti aussi clairement des interventions de Modibo Mao Makalou, économiste et gestionnaire financier malien qui a insisté sur l’impact désastreux des sanctions économiques qui ont isolé le Mali et plus tard le Niger, sans faire le tri entre les auteurs des coups d’État et les populations qui ont payé le prix fort de ces sanctions. Lori-Anne Théroux-Bénoni, directrice du bureau régional de l'Institut d’études de sécurité (ISS) pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, a montré de manière très pointue comment la Cédéao a montré ses limites dans la réponse à la crise sécuritaire au Mali en 2012-2013, et elle a rappelé pourquoi la coopération sécuritaire entre les pays sahéliens et les pays côtiers ouest-africains était une absolue nécessité compte tenu de l’intégration régionale de facto des groupes armés.
Les entrepreneurs aussi ont tout intérêt à disposer d’un espace régional gouverné par des règles, qui leur permet de servir un marché vaste de 15 pays plutôt que des marchés nationaux restreints. Didier Acouetey, fondateur et président du cabinet Afric Search et, entre autres, commissaire général d’un forum qui rassemble des petites et moyennes entreprises africaines, a mis en avant les bienfaits économiques de l’intégration.
Son point de vue en tant que citoyen ouest-africain est aussi clair s’agissant de la question des principes de démocratie et d’État de droit. Lorsque je lui ai demandé s’il pensait qu’il fallait se contenter d’intégration économique et renoncer à l’ambition de construire une région partageant des principes de convergence constitutionnelle, il a répondu ceci : « Les droits humains, ce sont des principes élémentaires. Lorsqu’on commence à y renoncer, on prend des risques qui vont à l’encontre de l’évolution de la race humaine. Moi je ne veux pas vivre au Moyen Âge... Je ne vois pas les jeunes des pays de la Cédéao qui accepteraient qu’on leur enlève le droit d’expression, de contestation… On doit faire marcher les libertés économiques avec les droits politiques ». Dans les pays sahéliens comme ailleurs, au-delà des illusions, je crois qu’on gagnerait à réfléchir davantage sur les sociétés et la région que nous voulons léguer à nos enfants.
► Pour aller plus loin
« L’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », Table ronde virtuelle de WATHI en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE.
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