Afrique du Sud: pourquoi la Constitution devrait nous inspirer?
Publié le :
Le 27 avril 1994, il y a tout juste 30 ans, des millions de Sud-Africains se rendaient aux urnes lors des premières élections démocratiques du pays, des élections qui aboutiront à la victoire de l’ANC, le Congrès national africain, et de son icône Nelson Mandela. Il y a aujourd’hui beaucoup de critiques sur la gestion du pays, de désillusion même au sein d’une partie de la population et notamment des jeunes qui n’ont pas connu le régime raciste de l’apartheid, mais la situation aurait pu être catastrophique si l’Afrique du Sud ne s’était pas dotée d’une Constitution remarquable.

Je pense que cette Constitution est bel et bien une des plus abouties dans le monde dans sa volonté de tirer des leçons de l’histoire d’un pays pour se projeter dans l’avenir sur la base de principes très clairs. Alors, bien sûr, l’Afrique du Sud est dans une situation économique difficile, les niveaux de violence, d’inégalités sociales et de corruption sont trop élevées et une pauvreté extrême frappe encore largement les populations noires.
Tout cela ne change pourtant rien au fait que ça ne fait pas de sens de comparer l’Afrique du Sud post-apartheid de ce que fut l’Afrique du Sud pendant plus d’un siècle de domination de la majorité noire par la minorité blanche, des décennies de mépris et de crimes perpétrés par un État raciste assumé et organisé. Lorsqu’on a l’occasion de visiter le musée de l’apartheid à Johannesburg, on réalise très vite que ce serait une insulte inacceptable à la mémoire de millions de personnes qui se sont battues pour la justice, la liberté et l’humanité que de relativiser la signification de la rupture politique et sociale de 1994.
À lire aussiL'Afrique du Sud célèbre sa journée de la Liberté et ses trente années d'élections libres
L’Afrique du Sud aurait pu être aujourd’hui un pays en guerre civile ou un pays qui serait en train d’essayer de s’en relever, dites-vous ?
Oui. On sait où en est l’Afrique du Sud aujourd’hui. Ce qu’on ne sait pas et ce qu’on ne saura jamais, c’est le contrefactuel. C’est ce que l’Afrique du Sud serait devenue si Mandela et ses compagnons de l’ANC avaient fait des choix politiques différents, s’ils n’avaient pas su notamment dominer la tentation naturelle de la vengeance. S’ils n’avaient pas fait beaucoup de compromis au nom des objectifs de paix et de réconciliation nationale. S’ils n’avaient pas travaillé à l’élaboration d’une Constitution sud-africaine qui jetterait les bases d’une société multiraciale ancrée dans le respect des droits de chacun.
L’Afrique du Sud aurait pu être aujourd’hui un pays en guerre civile ou un pays qui serait en train d’essayer de s’en relever, avec l’intervention d’une nuée d’acteurs étrangers tentant de tirer parti de ses immenses ressources naturelles en soutenant des groupes armés qui auraient dépecé le pays, un pays qui aurait peut-être accueilli une mission de maintien de la paix installée dans la durée, un pays en déconfiture pour longtemps. L’Afrique du Sud de 2024 reste au contraire une république unie dont les institutions sont solides et résistent à la corruption de nombre d’acteurs politiques. C’est une raison suffisante pour célébrer les 30 ans de la nouvelle Afrique du Sud.
Vous souhaitez parler en particulier de la Constitution sud-africaine, vous pensez qu’elle devrait être une source d’inspiration pour les autres pays africains ?
Oui, même si cela n’intéresse pas les dirigeants qui ne s’engagent dans des changements constitutionnels que pour se maintenir indéfiniment au pouvoir en rusant avec les textes et en se moquant de l’intelligence collective de leurs concitoyens.
Non, la Constitution sud-africaine fut, elle, le résultat d’un travail sérieux, appliqué, inclusif et ambitieux. « The Bill of Rights », La Déclaration de droits, qui constitue le chapitre 2 de la Constitution, est composée de 33 articles qui déclinent de manière très précise les droits fondamentaux des citoyens. Le champ couvert et le niveau de détail sont remarquables. Le premier article de ce chapitre dit ceci : « Cette déclaration des droits est la pierre angulaire de la démocratie en Afrique du Sud, elle consacre les droits de tous les habitants de notre pays et affirme les valeurs démocratiques de la dignité humaine, de l'égalité et de la liberté ».
On retrouve certes dans le préambule de presque toutes les Constitutions, l’affirmation de grands principes. Mais la différence est qu’en Afrique du Sud, on prend tout ce qui est prescrit dans la Constitution un peu plus au sérieux qu’ailleurs. En Afrique de l’Ouest, ces dernières années, à quelques exceptions près, on a plutôt choisi de démanteler des États de droit en gestation, et d’accepter que les plus forts et les moins scrupuleux imposent leur loi à tous.
À lire aussiAfrique du Sud: les célébrations de la journée de la Liberté laissent une impression contrastée
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne