Ça fait débat avec Wathi

Élection au Tchad : un épisode de plus d’un coup d’État permanent

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L’élection présidentielle au Tchad du 6 mai 2024 a rendu son verdict beaucoup plus tôt que prévu, avec la proclamation des résultats provisoires par l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) trois jours après le scrutin. Alors que l’opposant et Premier ministre Succès Masra a été le premier à revendiquer la victoire, les résultats provisoires officiels ont attribué au président de transition Mahamat Idriss Déby une large victoire dès le premier tour avec 61% des voix. Vous disiez à cette antenne il y a deux mois que cette élection présidentielle avait toutes les chances de maintenir le Tchad dans sa trajectoire politique des trois dernières décennies…

Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi © Samuelle Paul
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Oui, et j’avais ajouté que le Tchad de « la loi du plus fort, du plus armé, du plus brutal » avait toutes les chances de se perpétuer après cette élection et pendant longtemps. La célébration de l’annonce de la victoire du président-candidat a donné lieu à des cris de joie de ses partisans civils mais aussi à des rafales d’armes automatiques de ses partisans militaires qui quadrillaient la capitale. Malheureusement, un nombre encore indéterminé d’innocentes vies tchadiennes ont été perdues, touchées par des balles perdues de soldats aussi joyeux qu’irresponsables. 

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Le déploiement massif des forces armées et l’opacité organisée des opérations électorales ne pouvaient que sécuriser la victoire de Mahamat Déby Itno. Il n’y avait aucune raison de s’attendre à un dénouement électoral à la sénégalaise, avec des résultats dont la sincérité ne ferait pas l’objet de doutes profonds. Au Tchad, l’affichage et la prise de photo des procès-verbaux des résultats des bureaux de vote étaient interdits et personne n’a encore compris comment l’agence électorale a pu traiter et vérifier les résultats venus de tout le pays avec une telle célérité. Ce scrutin présidentiel a rejoint la longue liste des élections dont on ne connaîtra vraisemblablement jamais les véritables résultats. 

Vous avez à l’occasion de cette élection proposé sur le site de WATHI une sélection de documents sur le contexte politique, économique, social, éducatif, sanitaire, environnemental et sécuritaire du Tchad, ainsi que les biographies des candidats et les programmes qui étaient disponibles. Ce travail sert-il à quelque chose ? 

Je crois que oui, même si au Tchad et dans son voisinage immédiat, du Soudan à la République centrafricaine, du Niger au Cameroun, il faut s’accrocher pour ne pas céder à la tentation du dépit et de la résignation face à la résilience de pratiques politiques qui œuvrent contre l’amélioration des conditions de vie de millions de personnes. Nous estimons que les rendez-vous électoraux devraient être des moments privilégiés de débat public sur les questions fondamentales pour l’avenir de chaque pays dans notre zone de focalisation, qui inclut le Tchad. Mais nous ne sommes pas dupes. Nous savions très bien que la campagne électorale ne ferait pas beaucoup de place à une confrontation de programmes pour sortir la majorité des 18 millions d’âmes tchadiennes de leurs conditions de vie très précaires et pour leur faire croire en un avenir meilleur. 

Les documents de contexte sur le Tchad décrivent un pays dont la base économique est très étroite et un pays où les carences du système éducatif nourrissent le sous-emploi et les frustrations des jeunes…

Absolument. Dans une tribune que nous avons publiée, Jean Martin Leoba Dourandji, économiste et entrepreneur tchadien, rappelle que 60% de diplômés se retrouvent au chômage, un énorme gâchis de l’investissement dans l’éducation. La question de l’emploi des jeunes renvoie inévitablement à celle de l’éducation. 

Une étude de la Banque mondiale indique que « même si l’enfant tchadien moyen effectue 5,3 années de scolarité, la mauvaise qualité de l’éducation reçue fait que ce nombre n’équivaut qu’à 2,8 années de scolarité ». Dans une évaluation faite en 2019 sur 14 pays d’Afrique francophone, le Tchad présentait la plus faible proportion d’élèves en 6ème année d’études atteignant le niveau minimal de compétence en langues et en mathématiques. En milieu rural, le taux d’absence des enseignants atteint 38,3 %, soit près de 2 enseignants sur 5 absents dans la salle de classe lorsqu’on effectue une visite inopinée. 

Au Tchad comme dans les autres pays du Sahel, où les militaires au pouvoir vont vraisemblablement choisir bientôt la voie de la légitimation de leurs coups d’État par des élections à la tchadienne, la faillite des systèmes éducatifs sur plusieurs décennies est une des sources majeures de la situation actuelle. Il y a au Tchad comme partout ailleurs sur le continent une jeunesse qui ne demande pourtant que le minimum pour pouvoir apprendre, travailler et servir. Une jeunesse qui voudrait bien aussi ne pas courir le risque de se faire tuer par des militaires, même lorsque ces derniers célèbrent joyeusement le nouvel épisode d’un coup d’État permanent. 

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Pour aller plus loin 

Initiative Election Tchad 2024 sur le site de WATHI:

Tchad : le défi négligé de la lutte contre le chômage, Jean Martin Leoba Dourandji

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