À Madagascar, aucune loi ne régit sa culture, sa vente ni sa consommation : ni interdite ni autorisée, la prise de khat est tolérée. Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette plante fait partie des drogues. Le khat a été introduit au début du XXe siècle à Diego-Suarez, la capitale du nord de l’île, par les émigrants yéménites, somalis et comoriens, recrutés pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des colons français. La région de Diego-Suarez est aujourd’hui la première zone productrice de khat de toute l’île ; les cultures maraîchères disparaissent au profit de l’arbuste. Là-bas, la consommation de khat a connu un boom depuis le début des années 1990 et ne cesse de s’amplifier. Et ce ne sont pas les crises sanitaire et économique qui frappent en ce moment le nord de l’île qui entachent ce business florissant.

Il est presque midi à Diego-Suarez quand les premiers 4x4 remplis de khat font leur apparition dans les rues de la ville. Très vite, c’est l’attroupement. Les habitués se ruent sur les bottes du feuillage vendues 10 000 ariary pièce. Soit 2,25 euros. Une petite fortune dans un pays où 75% de la population vit avec moins de 1,60 euro par jour.
« C’est excitant. Quand tu manges, tu travailles sans arrêt. J’étais chauffeur de taxi avant, je travaillais 24h sur 24. Je mange le khat, et la nuit, je travaille, et la journée aussi. » Aimé est un ancien accro au khat. Pendant presque 30 ans, il en a mâché quotidiennement. Il y a un an et demi, il a décidé d’arrêter : « J’ai arrêté parce que ça casse les dents, ça dépense, ça dépense les sous. Un paquet de 10 000 ariary, ça dure une demi-journée. Chauffeur de taxi, si la voiture t’appartient, on gagne entre 400 et 500 000 ariary par mois. Avant je dépensais jusqu’à 300 000 par mois pour du khat. C’est énorme. »
► À écouter aussi : Série Madagascar : la consommation de khat sur la grande île
En plus de faire partie intégrante de l’économie locale de la région nord, le khat rythme donc la vie de la population. Assis par terre à l’ombre dans les ruelles, hommes, femmes, vieillards ou enfants se détendent. Une grosse boule de feuilles gonfle leurs joues. Difficile d’avancer des chiffres : aucune étude à ce jour n’a révélé le nombre de consommateurs. Mais d’après les témoignages, environ 20% de la population diégolaise en consommerait régulièrement.
Pour le réalisateur Geoffrey Gaspard, natif de Diego-Suarez, qui a traité de ce phénomène dans son documentaire Tavela, le khat dicte ses règles : « Le khat tient Diego, parce que si les autorités interdisaient le khat, un business à milliards d’ariary, pendant une journée, pendant une semaine, ce serait le chaos à Diego. Les gens ne peuvent pas se passer du khat. C’est bien plus qu’une drogue. Puisque c’est pratiquement à l’égal de l’eau. Les gens ont besoin d’eau pour vivre, eux, ils ont besoin de khat pour vivre. Certains même préfèrent acheter du khat plutôt que du riz. Franchement, c’est incroyable. »
Le gouverneur de la région, Daodo Marisiky, n’est pas aussi alarmiste, mais reconnait qu’un retour en arrière semble bien difficile : « Ça fait partie des sources de revenus de la population. Le khat n’a jamais été interdit dans cette région depuis des siècles. Et ce n’est pas au moment du confinement qu’on arrête le commerce ou la culture du khat. »
Souvent qualifiée « d’amphétamine naturelle », la plante provoque des effets euphorisants mais soulage aussi la fatigue et la faim. Peut-être l’un des effets les plus appréciés en ce moment, en cette période de grand dénuement dans les ménages diégolais.
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