Atelier des médias

Quand médias et ONG sont entravés par le droit : entretien avec Sophie Lemaître

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La juriste française Sophie Lemaître publie Réduire au silence, un livre dans lequel elle décrit « comment le droit est perverti pour bâillonner médias et ONG » dans des régimes autoritaires… mais aussi dans des démocraties comme la France.

La juriste Sophie Lemaître et son livre intitulé Réduire au silence, paru aux éditions Rue de l'échiquier.
La juriste Sophie Lemaître et son livre intitulé Réduire au silence, paru aux éditions Rue de l'échiquier. © Rue de l'échiquier / Sophie Lemaître
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Sophie Lemaître, docteure en droit, dépeint un phénomène mondial, le lawfare, qui menace gravement la liberté d'expression et l'espace civique. Si ce concept vient du domaine de la guerre, il « se transvase très bien pour tout ce qui est atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d'expression et à la liberté d'association », explique-t-elle. Elle qualifie cette pratique d'« arme de dissuasion massive parce que le droit n'est plus à nos côtés, il est utilisé contre nous, contre la liberté d'informer et notre droit d'être informé ».

Les cibles sont clairement identifiées : les journalistes et les défenseurs des droits humains. La stratégie est simple : « à partir du moment où vous travaillez sur des sujets qui dérangent des intérêts puissants, qu'ils soient politiques ou privés, on va utiliser le droit pour vous réduire au silence ». Les « poursuites bâillons » ou SLAPP (Strategic lawsuits against public participation) sont emblématiques de cette tactique. Leur objectif premier n'est pas de gagner le procès, mais d'« épuiser financièrement, émotionnellement, personnellement » la cible. Ainsi, dit-elle, « c'est la procédure qui vous étouffe ».

La diffamation est la procédure la plus couramment travers le monde. Son danger réside dans le fait que « dans plein de pays, la diffamation est criminalisée. Donc, on peut avoir une une amende, mais on peut également aller en prison. » L'effet est « vraiment dissuasif. (...) Est-ce que vous allez continuer à écrire sur la corruption ou sur les atteintes dans l'environnement ? Vous allez peut-être vous poser deux fois la question avant de publier un article ou une enquête sur le sujet. » Sophoe Lemaître cite l'exemple du groupe français Bolloré qui a déposé « une vingtaine de plaintes en diffamation » dès qu'un article « pouvait déranger ».

Les poursuites transfrontalières, où la plainte est déposée « non pas dans le pays dans lequel le journaliste vit mais à l'étranger », amplifient la difficulté : « Vous ne connaissez pas le pays, vous ne maîtrisez peut-être pas la langue. Clairement vous ne maîtrisez pas le système judiciaire. Donc ça va vous obliger à devoir trouver un avocat spécialisé et ça va vous coûter beaucoup plus cher. »

Les États ne sont pas en reste. « Ils ont tout un arsenal disponible qu'ils peuvent utiliser contre les médias et les associations. » Les lois sur les « agents de l'étranger » en Russie, en Hongrie ou en Géorgie en sont un exemple typique. Les avocats qui défendent des journalistes deviennent eux aussi parfois des « cibles prioritaires ».

Face à ces menaces, Sophie Lemaître souligne l'importance de la riposte et de l'union. Elle mentionne la « directive européenne contre les poursuites bâillons » comme un pas significatif. Pour les citoyens, l'action est cruciale : « une première chose que l'on peut faire, c'est de repartager quand vous voyez des enquêtes de journalistes, repartager leurs enquêtes. [...] alertez, parlez-en autour de vous. » Elle conclut sur le « sentiment d'urgence » qui l'a fait écrire ce livre : « On est à un point de bascule. On peut très facilement aller du côté d'une démocratie illibérale ou une autocratie. » Il est donc « essentiel de se mobiliser, de soutenir les associations, les journalistes, mais aussi les magistrats qui sont ciblés ».

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