Mustafa Sanalla, le patron plus tout-puissant du pétrole libyen
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L'homme est à ce poste stratégique depuis 2014. Une longévité qui est un exploit dans un pays où l'instabilité politique est chronique. Mais son règne n'est plus total depuis que le Premier ministre par intérim Abdelhamid Dbeiba a pris le pouvoir en mars dernier et a placé un ministre du Pétrole au-dessus de lui. Mustafa Sanalla, l'ingénieur pétrolier doit oublier la carrière politique qu'il envisageait peut-être.

Mustafa Sanalla aime à le répéter : il ne fait pas de politique. Il le redisait encore il y a deux semaines dans une rare adresse aux journalistes à Tripoli. Avec son air de professeur, cartes et graphiques à la main, il expliquait aussi que cette année encore, malgré les blocages des installations pétrolières, malgré l'absence d'un budget pour faire tourner la holding publique qu'il dirige, il tentera l’impossible avec ses équipes. Maintenir la production à 1,2 million de barils par jour. Et d’ajouter qu’il ferait sans doute beaucoup plus si seulement on lui octroyait enfin son budget.
Mustafa Sanalla, c'est le technicien, l'ingénieur qui dans les pires conditions parvient à maximiser la production de pétrole. Cela force le respect et la reconnaissance des compagnies pétrolières étrangères. « Il y a quelques années, quand il y avait tous ces blocages, avec quelques centaines de milliers de barils jours produits seulement, c'est lui qui menait le navire de la NOC en pleine crise, explique John Hamilton, le directeur de Cross-border Information, une agence londonienne spécialisée dans le renseignement d'affaires. Les compagnies pétrolières internationales ne peuvent que lui être reconnaissantes. Sans lui, elles n'auraient pas vu leurs opérations se poursuivre. Encore aujourd'hui, malgré tous les problèmes que connaît la Libye, elles font de l'argent », poursuit l’expert qui suit les activités pétrolières libyennes depuis quinze ans.
Premiers soutiens en Libye
Une autre qualité que lui reconnaissent plusieurs connaisseurs du contexte libyen, Mustafa Sanalla ne traîne aucune affaire de corruption, contrairement à beaucoup d’autres personnalités libyennes. C’est d’ailleurs en Libye que Mustafa Sanalla compte ses premiers soutiens, les équipes qui l'entourent à la Compagnie nationale du pétrole (plus connu sous l’acronyme anglais NOC) et ses 50 000 employés. Il jouit auprès d’eux d’une forte popularité.
« Pour lui, [les richesses pétrolières] doivent aller aux populations locales et il est attaché aux projets de développement conduits à la fois par la NOC et les compagnies internationales », précise Ehab Abdulgader, dirigeant du groupe pétrolier privé libyen Petrogas. « Quand on vient comme lui de l'aval pétrolier, poursuit M. Abdulgader, on est au plus près des sites de production, là où débouche le pétrole. Pour moi, c'est la raison pour laquelle il est sensible aux préoccupations des travailleurs et aux conséquences du sous-investissement dans les infrastructures », conclut le technicien qui l’a rencontré à plusieurs reprises sur le terrain.
Tournant en 2020
La page Facebook de la NOC abonde de vidéos mettant en scène le patron de la NOC sur les sites pétrolier et gazier, au plus près des travailleurs et des populations. C’est aussi sur ce canal privilégié qu’il distille ses critiques vis-à-vis de la classe politique en place. « Un autre Sanalla est apparu en 2020 », précise Jalel Harchaoui, expert de la Libye à l’ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime.
À l’époque, la Libye vient de connaître sa troisième guerre civile. Le patron de la NOC, avec le soutien tacite des États-Unis, propose que les pétrodollars libyens soient stockées dans un compte de la NOC et non plus dans celui de la Banque centrale.
D’une part, pour rassurer le camp de l'Est libyen qui bloquait depuis de longs mois les installations pétrolières afin de réclamer une meilleure répartition des richesses. D’autre part, parce que Sanalla accuse le patron de la Banque centrale de détournements massifs de fonds. « La communauté internationale était complètement pour un rôle financier, donc extrêmement politique, qui serait joué par Sanalla », décrypte Jalel Harchaoui.
Mais cette transformation-là est stoppée net par le Premier ministre libyen actuel, à son arrivée en mars 2021. Abdelhamid Dbeiba le businessman, qui veut avoir un œil sur tous les circuits financiers libyens réinstaure un ministère du Pétrole, confié à un ennemi personnel de Mustafa Sanalla.
De quoi parasiter l’action du patron de la NOC « En terme de visibilité, de capacité à aller négocier des transactions avec Total comme il l’avait fait en février 2018, tout cela n’est plus possible, explique Jalel Harchaoui. Tout ce qui est politisé, prise de décision stratégique, il n’a plus du tout l’autonomie qu’il avait autrefois », conclut le spécialiste de la Libye.
L'homme qui souhaitait préserver son institution des soubresauts politiciens a-t-il été contraint de s'y frotter ; ou bien a-t-il cédé à ses sirènes ? Difficile de trancher. Ce qui est certain, c'est que le technicien ultra-compétent est toujours là. Et qu'à 90 dollars le baril ce 4 février, tout le monde a encore besoin de lui.
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