Aujourd'hui l'économie

Argentine: le troc contre la crise

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C’est un phénomène mondial qui n’épargne aucun pays et qui frappe durement les plus démunis : l’inflation entame le pouvoir d’achat de tous. Face à la flambée des prix, chacun a sa recette anti-crise. En Argentine, où près de quatre personnes sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté, le coût de la vie a augmenté de 64 % en un an. Contraints et forcés, les Argentins sont passés maîtres dans l’art de la débrouille. 20 ans après leur apogée pendant la crise de 2001, les clubs de troc ont refait leur apparition ces derniers temps.

En Argentine, le troc a fait son retour face à l'inflation.
En Argentine, le troc a fait son retour face à l'inflation. © Théo Conscience / RFI
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Du lait contre une bouteille de shampoing, un pull contre deux paquets de gâteaux. Les produits changent de main sans qu’un seul peso, la monnaie argentine, sorte des porte-monnaies. Nous sommes sur la place Pineral à Caseros. Plusieurs fois par semaine, des habitants de cette commune défavorisée en banlieue de Buenos Aires se retrouvent ici pour faire du troc.

Oscar Olivera est venu échanger des habits dans lesquels ses enfants ne rentrent plus contre de la nourriture. Il explique s’être mis au troc récemment car son salaire de cordonnier lui permet à peine de payer les factures.

« C’est vrai que ça aide beaucoup, parce que moi je suis payé le vendredi et le lundi je n’ai déjà plus d’argent. Avant comme cordonnier, je gagnais bien ma vie, mais maintenant ça a beaucoup baissé avec tous ces problèmes. »

Un système de points pour organiser les échanges

Depuis le début de l’année en Argentine, les prix des vêtements ont augmenté de moitié, et ceux du pain, de l’huile, ou du savon ont bondi de 40 %. C’est ce que les gens cherchent, explique Jessica, des produits de première nécessité.

« Pour la plupart nous sommes des mamans, donc on cherche surtout du lait ou de quoi cuisiner chez nous : des pâtes, de la farine, des pizzas, ce genre de chose. »

Depuis 2018, les Argentins ont subi une crise économique, la pandémie de Covid-19 et maintenant la flambée des prix provoquée par la guerre en Ukraine. Pour s’en sortir face à une inflation qui n’en finit plus de s’envoler, les clubs de troc comme celui-ci se sont multipliés.

« Les gens se mettent d’accord sur Facebook et ils viennent sur la place pour faire l’échange, le point de rencontre est ici. »

Sonia Galera est l’administratrice de ce groupe de troc dont la page Facebook rassemble plus de 2500 personnes. Elle est présente chaque vendredi et dimanche pour s’assurer du bon déroulement des échanges.

« On évalue tout en points. Une boîte de lait en poudre vaut deux points, soit autant qu’une bouteille de purée de tomate ou un savon pour la douche. Les gens échangent grâce à ce système de points que nous actualisons en fonction de l’évolution des prix en supermarché. »

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« C’est un peu comme revenir 20 ans en arrière »

Ce fonctionnement bien huilé est en réalité un héritage vieux de vingt ans. En Argentine, la pratique du troc s’est beaucoup développée au moment de la grave crise économique et sociale qui a secoué le pays au début des années 2000. Elle a ensuite progressivement disparu à mesure que le pays se relevait, avant de refaire surface ces dernières années.

« Ici il y a beaucoup de gens qui faisaient déjà du troc en 2001. À l’époque, c’était plus du bouche à oreille, aujourd’hui les réseaux sociaux nous aident beaucoup. »

Les cheveux noirs, le regard triste, Deborah Melgajero est également administratrice de ce groupe de troc. Un peu de couture, un peu de tissage : on essaye de s’en sortir comme on peut, explique cette mère de famille. Mais mon vrai travail, dit-elle, c’est de venir ici toutes les semaines.

« Au fil temps, à force de ne pas pouvoir s’insérer sur le marché du travail, on essaye de trouver des outils pour s’en sortir. Venir ici, aider, socialiser, je considère que c’est mon travail, même si je ne suis pas rémunérée. Mais devoir se remettre au troc aujourd’hui, c’est un peu comme revenir 20 ans en arrière. La situation n’est peut-être pas aussi grave qu’en 2001, mais il y a toujours cette peur. »

Si le spectre de la crise de 2001 reste présent dans les têtes argentines, les outils de débrouille apparus à cette époque eux aussi sont toujours d’actualité. La transmission des pratiques comme le troc symbolise bien la résilience que les Argentins ont su développer au fil des crises qui se suivent autant qu’elles se ressemblent.

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