Aujourd'hui l'économie, le portrait

Frances Haugen, la lanceuse d'alerte qui fait trembler Facebook

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Empêtré dans une crise politique sans précédent, Mark Zuckerberg choisit de rebaptiser son entreprise. Elle s’appelle Meta (pour méta-univers), avec un logo qui ressemble à des lunettes de réalité augmentée. Le réseau social, lui, garde le nom de Facebook. Un nouveau nom pour la même recette ?

Frances Haugen a partagé, plus tôt cette année, une mine de documents internes alléguant que Facebook savait que ses produits nuisaient à la santé mentale des enfants. (Image d'illustration)
Frances Haugen a partagé, plus tôt cette année, une mine de documents internes alléguant que Facebook savait que ses produits nuisaient à la santé mentale des enfants. (Image d'illustration) Tolga Akmen AFP
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Le groupe californien devenu tentaculaire (il possède, entre autres, Facebook, WhatsApp et Instagram) affiche un bénéfice de 9,2 milliards de dollars au troisième trimestre. Mais une femme a choisi de s'opposer à sa toute-puissance. Les révélations de cette Américaine de 37 ans ont fait trembler le géant.

Longs cheveux blonds, des yeux bleus qui ne cillent pas devant le journaliste qui l’interviewe, Frances Haugen explique pourquoi elle a décidé de montrer le vrai visage de l'entreprise pour qui elle a travaillé pendant deux ans. Elle déclare dans la célèbre émission « 60 Minutes » diffusée sur la chaîne de télévision CBS : « J'ai eu l'impression que, face à des conflits d'intérêts, entre ses profits et la protection des utilisateurs, Facebook choisissait de façon répétée ses profits. »

Frances Haugen sait de quoi elle parle. Elle est spécialiste des « classements algorithmiques » qui permettent de hiérarchiser les contenus sur les plates-formes. Diplômée de la prestigieuse université de Harvard, la jeune ingénieure travaille pendant quinze ans pour Google, pour les réseaux sociaux Pinterest et Yelp, avant d'être embauchée par Facebook. Elle intègre l'équipe qui lutte contre la désinformation et les discours haineux. À l'occasion de la présidentielle américaine de 2020, le groupe modifie les algorithmes de recommandation avec pour objectif de limiter le partage des contenus extrêmes. Trop tard, trop peu, accuse l'ancienne employée qui quitte ses fonctions en mai 2021 : « En 2021, j'ai décidé d'agir. Mais je me suis dit : il faut le faire de manière systématique afin que personne ne puisse contester la véracité de tout cela. »

À lire aussi : En pleine tourmente, le groupe Facebook change de nom pour s'appeler Meta

Des milliers de documents internes

Frances Haugen part en emportant des milliers de documents provenant des forums internes, qu'elle a pris soin de copier un à un, et qui prouvent que les systèmes de modération du plus grand réseau social du monde face aux discours de haine et aux manipulations sont largement insuffisants.

Sa démarche est très structurée. Les documents sont fournis au régulateur américain et au Congrès, et leurs extraits anonymisés sont publiés par plusieurs médias, notamment Le Monde. L’interview de la lanceuse d’alerte à la télévision a fait l’effet d’une bombe, tout comme son audition à la commission sénatoriale... Pour mener sa lutte contre l'entreprise forte de presque 3 milliards d'utilisateurs dans le monde, Frances Haugen est assistée par Whistleblower Aid. Cette ONG américaine qui s'appuie sur le statut protégé de lanceur d'alerte créé par la loi Dodd-Franck en 2010, et qui l'a notamment aidé à déposer huit plaintes pour mensonge contre Facebook auprès de la SEC.

Le pouvoir des grandes plates-formes

Mais cette affaire concerne le monde entier. Les États prennent conscience du pouvoir économique et politique des réseaux sociaux, estime Thierry Pénard, professeur à l'université Rennes 1, spécialiste de l'économie d'internet : « Ce que révèle Frances Haugen, c'est le fait que ces réseaux sociaux, ces plates-formes numériques ne sont pas bienveillants en soi et qu'il est important de les réguler. Il existe un intense lobbying de la part notamment des Gafa. Quelque part, cette lanceuse d'alerte va faire du contre-lobbying. En tout cas, je pense qu’il y aura d'autres révélations dans le même sens à l’avenir. »

Frances Haugen a été entendue par les députés britanniques, cette semaine, et elle devrait passer à l'Assemblée nationale à Paris, le 10 novembre. Soit deux jours après son passage au Parlement européen à Strasbourg où deux projets de régulation des grandes plates-formes sont actuellement en préparation.

Le premier texte, Digital Services Act, vise à proposer un cadre harmonisé de règles pour les services en ligne, essentiellement en matière de modération des contenus illicites et transparence du service. Le deuxième, intitulé Digital Markets Act, doit dépoussiérer le droit de la concurrence pour encadrer les activités des grandes plates-formes (les Gafam, et autres) afin de permettre à des acteurs alternatifs d'émerger et empêcher les abus de position dominante. Il y aura sans doute un avant et un après-l'affaire Frances Haugen contre Facebook.

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