Aujourd'hui l'économie, le portrait

Vladimir Potanine, le «roi du nickel» russe épargné par les sanctions

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Vladimir Potanine est l'un des plus riches oligarques russes. Le « roi du nickel » comme on le surnomme, a la particularité d'échapper aux sanctions occidentales malgré sa proximité avec le Kremlin. Seuls l’Australie et le Canada l’ont inscrit sur leurs listes. Une partie de l'explication se trouve dans le parcours de cet homme de 61 ans.

L'oligarque russe Vladimir Potanine est le PDG de la société d'exploitation de nickel, Nornickel depuis 2012.
L'oligarque russe Vladimir Potanine est le PDG de la société d'exploitation de nickel, Nornickel depuis 2012. © REUTERS/Maxim Shemetov
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Contrairement à d’autres grandes fortunes, comme Roman Abramovitch, Mikhaïl Friedman ou encore Oleg Deripaska, Vladimir Potanine échappe aux sanctions prises par la plupart des pays occidentaux depuis l’invasion russe de l’Ukraine.

Il a pourtant construit sa fortune en même temps qu’eux, à l’ombre de l’État russe. C'est dès les années 1990 que Vladimir Potanine, à l'époque fonctionnaire d'un État au bord de la faillite, se lance dans le secteur privé naissant. L’heure est à aux privatisations massives des monopoles publics afin de renflouer les caisses. Il profite d'une opération controversée, le bradage de gros fleurons publics de l’industrie pour s'emparer de la société Norilsk Nickel. Le groupe fera très vite sa fortune. Ce membre de la « nomenklatura », dont le père est diplomate et la mère médecin, utilise ses relais politiques pour y parvenir.

Avec l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, il n’est plus question que les oligarques aient l’initiative. Ils seront désormais au service du Kremlin et devront se tenir éloignés de la politique. Sinon, ils seront envoyés en prison, comme Mikhail Khodorkovsky, l’ancien patron du géant pétrolier Lukoil.

Alors que les premières sanctions s’abattent sur la Russie après l’invasion de la Crimée ukrainienne, les oligarques ne réagissent pas.

« Je n’ai pas le souvenir d’un moindre mot concernant l’Ukraine, lors de nos discussions », se remémore Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France en Russie de 2009 à 2016 et aujourd'hui directeur de recherche à l'Iris.

« On parlait plutôt business. Mais on n’a pas tellement parlé politique. On parlait de la France, un pays qu’il apprécie assez », complète l’ancien diplomate. Peut-être plus que tout autre oligarque, Vladimir Potanine connaît les nouvelles règles du jeu. Il se plie aux volontés présidentielles. Ce francophone (langue apprise sur les bancs de la fac soviétique, ndlr) habitué des stations de ski et de la côte basque en France, participe à grands frais à l'organisation des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi voulue par Vladimir Poutine. L’homme d’affaires y investit une partie de sa fortune personnelle, estimée aujourd’hui à 30 milliards de dollars.

Ancien agent du KGB

Une facette tout aussi importante pour comprendre le personnage, c’est son ancienne appartenance aux services de renseignements. « C’est un ancien du KGB, et pour moi c’est quand même la caractéristique la plus importante », résume l'expert Didier Julienne, fin connaisseur des métaux, mais également des arcanes politiques russes. Cela lui octroie une certaine sécurité, « tant qu’il n’entre pas en politique », précise l’expert. Cette casquette d’ancien du KGB lui a aussi appris à tisser son réseau en dehors de la Russie. Des relais – politiques notamment – qui pourraient être utiles en cas de coup dur.

Mais n’est-ce pas le cas de beaucoup d’autres oligarques, qui n’ont pourtant pas échappé aux sanctions ? « Les Européens et Américains mettent sous sanctions des gens qui ont pris des positions ou qui ont fait des choses à un moment qui ont montré une certaine hostilité vis-à-vis de l’Occident. Potanine, ça n’a jamais été le cas », souligne Didier Julienne. Via sa fondation, Vladimir Potanine donne sans compter pour faire rayonner le « soft power » russe à travers les arts en France, aux États-Unis et ailleurs. Pour plusieurs de nos interlocuteurs, ce lien entretenu avec l'Occident lui permet aussi d’éviter de voir ses quelques yachts saisis.

L’autre élément de poids, tient à la géographie. Une offre russe en sulfate de nickel, (l’une des composantes des véhicules électriques) que le groupe de Vladimir Potanine incarne en tant que leader mondial, et une demande européenne appelée à devenir exponentielle.  

« Le nickel dans sa dimension stratégique à moyen terme, (…)[répond à la] transition environnementale qui est affirmée de manière très très forte par l’Europe, conformément à ses objectifs de neutralité carbone », expose le spécialiste des matières premières, Yves Jégourel. « Et ça rend la question de l’affranchissement à certaines ressources minérales assez compliqué », résume l’expert.

Rachat de Rosbank

Nous sommes là au cœur des contradictions de la politique des sanctions. Et ce n'est pas la seule. Beaucoup de groupes occidentaux ont quitté la Russie : McDonald's, les Français Renault et Leroy Merlin. Un isolement inédit depuis 30 ans en Russie. Mais Vladimir Potanine, « l’opportuniste ultime » en profite. En avril, il a racheté à la Société générale la banque de détail Rosbank, que le magnat possédait il y a quelques années. « Le bradage des intérêts français en Russie contribue en quelque sorte à la fortune des oligarques et de l’État russe », reconnaît Jean de Gliniasty.

Si le prix de la transaction est resté secret, elle se traduira par une perte nette d’environ 3,2 milliards d’euros dans le compte de résultat de la Société générale. Mais la banque peut espérer trouver un interlocuteur de choix en la personne de Vladimir Potanine, si d’aventure elle revenait sur le marché russe. « Potanine est destiné à rester un interlocuteur de poids dans les relations économiques, à supposer qu’il y en ait dans le futur, entre la France et la Russie », estime l’ancien diplomate.  

Loyal au Kremlin, la deuxième fortune de Russie sait aussi ce que son pays doit aux investisseurs étrangers. Dans une rare prise de parole sur le réseau social Telegram en mars dernier, sans nommer Poutine, Vladimir Potanine a prévenu contre la tentation de confisquer les actifs des groupes occidentaux. Au même moment, on apprenait qu'il démissionnait de ses fonctions d'administrateur du musée Guggenheim de New York. L’institution venait de condamner l’invasion russe de l’Ukraine.

© RFI

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