Après avoir fait carrière dans le journalisme satirique, le Sénégalais Pape Samba Kane est revenu à ses premiers amours littéraires et artistiques. Avec deux recueils de poèmes et un roman publiés en l’espace d’une décennie, le sexagénaire s’est imposé comme l’une des voix majeures des lettres africaines.

« Je suis fruit de toi/ De ton rire qui me mangue / Tu goyaves ma nostalgie / Qu’habite ton haleine corossol / Ta bouche sapotille ma bouche / Tes dents pomment mon cou / Croquent ma volonté… » « L’homme qui écrit ces vers, cet homme ne peut être qu’un poète », déclarait Lilyan Kesteloot, grande historienne de la littérature africaine, aujourd’hui disparue. L’homme en question, celui-là même qui aime déclamer son amour à sa belle avec des mots aussi fruités que poétiques s’appelle Pape Samba Kane.
Pape Samba Kane. Retenez ce nom. À la soixantaine bien bouclée, PSK, comme ses amis l’appellent, est l’une des voix montantes des lettres sénégalaises. Il est l’auteur d’un roman et de deux recueils de poésies. « Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours écrit », aime-t-il dire, regrettant d’avoir tardé à mettre ses talents littéraires à l’épreuve du grand public. Son parcours mérite d’être raconté.
Journaliste au Cafard libéré
Pape Samba Kane a longtemps été journaliste. Il a travaillé dans des rédactions sénégalaises, a fondé des journaux. Son nom a été un temps synonyme de portraits corrosifs qu’il brossait des hommes politiques dans les pages du Cafard libéré, équivalent du Canard enchaîné en France. Selon la légende, la grande peur des hommes publics à Dakar était de voir leurs secrets et leurs incohérences étalés à grands traits dans les colonnes du journal satirique, sous la plume mordante du talentueux PSK. Ils étaient nombreux à pousser des « ouf » de soulagement lorsque le journaliste a raccroché les gants il y a quelques années.
Aujourd’hui, PSK est journaliste à la retraite, confortablement installé dans les faubourgs populaires de Dakar, où il peut enfin consacrer son temps à concrétiser ses ambitions littéraires et artistiques. « Quand j’ai pris ma retraite, confie-t-il, je suis revenu à mes premiers amours. C’est pourquoi quand les jeunes journalistes me posent la question “quand écris-tu ta poésie” ou “Comment passe-t-on de l’écriture journalistique à l’écriture créative ?”, j’essaie d’expliquer qu’en réalité, c’est l’écriture créative qui m’a emmené au journalisme ».

La danse des djinns
C’est en 2015 que cet ancien journaliste et patron de presse a réellement renoué avec l’écriture littéraire en publiant son premier roman chez un éditeur sénégalais, les éditions Feu de brousse. Sabaru Jinne, le titre en wolof de son roman signifie « La danse des djinns ».
Dans ce récit autofictionnel, l’écrivain raconte avec un sens consommé de la narration, mêlant adroitement la fiction et le vécu, les affres du personnage central. Celui-ci est confronté à un choix terrible entre sa vocation littéraire et une carrière de négociant pétrolier que lui impose sa famille. La résolution du dilemme passe par une « rêverie » qui relève à la fois du réalisme magique et du témoignage historique et social. Il entraîne le lecteur au cœur d’une trame somptueuse et épique, charriant à la fois l’histoire, la mémoire, le réel et le rêve.
Mais c’est peut-être à travers la poésie que l’écrivain sénégalais a su déployer toute la gamme de ses talents, sa belle maîtrise de la prosodie française et son amour des mots. PSK est l’auteur à ce jour de deux recueils de poésie qui ont pour titres, À tire d’elles et Femme écarlate, publiés tous les deux, en France, aux éditions Lettres de Renaissance.

« Comme des geysers brûlants »
Préfaçant le premier recueil sous la plume du poète paru en 2018, la grande Lilyan Kesteloot avait d’emblée attiré l’attention sur le don du poète « de faire jaillir les mots comme des geysers brûlants ou comme des rivières fraîches qui nous inondent le visage et y allument un sourire de plaisir ». La poésie de Pape Samba Kane est profondément passionnée et lyrique, s’inscrivant dans la droite lignée de l’épiphanie poétique de la négritude senghorienne, mais avec des échos de Baudelaire, poète de chevet du Sénégalais.
Difficile de ne pas être sensible au spleen baudelairien dont ces pages des anthologies sont empreintes. « La brume enveloppe Dakar/ Et mon cœur/ Dans son lourd voile laiteux/ Froid… », murmure le poète, suggérant sa communion étroite avec le monde qui l’entoure.
Ce qui caractérise aussi la poésie de Pape Samba Kane, c’est la centralité qui y est accordée à la femme, à sa beauté et à l’amour célébré sur tous les registres.
C’est l’amour qui le pousse à écrire et il n’hésite pas à le proclamer à la terre entière. « J’écris quand je suis amoureux, quand je suis interpellé par l’amour, quand je suis en manque, quand quelqu’un me manque, quand quelqu’un m’a quitté, quand j’espère que quelqu’un m’aimera, quand quelqu’un m’aime et le déclare… On dit que je fais de la poésie lyrique. Oui, c’est bien cela et c’est toujours autour de l’amour, ses souffrances, ses tourments que je qualifie de “voluptueux tourments” (que j’écris) parce que je pense qu’il est bien préférable de souffrir d’avoir aimé que de souffrir de n’avoir jamais aimé. »
On l’aura compris, pour Pape Samba Kane, l’amour est la grande affaire de la vie et la femme l’avenir de l’homme. C’est pourquoi après À tire d’elles et La Femme écarlate, son troisième recueil, en préparation, aura pour titre République des femmes où l’amour sera loi, comme l’a chanté Jacques Brel.
Sabaru Jinne : les tam-tams du diable (roman), par Pape Samba Kane. Éditions Feu de brousse, Dakar, 2015, 268 pages.
À tire d’elles (poésie), par Pape Samba Kane. Éditions Lettres de Renaissances, Paris, 2018, 119 pages.
Femme écarlate (poésie), par Pape Samba Kane. Éditions Lettres de Renaissances, Paris, 2019, 119 pages.
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