Chemins d'écriture

Littérature: à la recherche de la densité en fiction, avec Kossi Efoui

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Homme de théâtre, mais aussi nouvelliste et romancier, le Togolais Kossi Efoui aime à dire qu’il écrit « pour se sauver la vie ». Exilé en France depuis 1990, il est l’auteur de six romans et de plusieurs pièces de théâtre. Ses pièces sont jouées sur les scènes européennes et africaines et ses romans lui ont valu des prix littéraires prestigieux, dont le prix des Cinq Continents en 2009. C'est un auteur incontournable du corpus littéraire africain.

Homme de théâtre et romancier, le Franco-Togolais Lossi Efoui est un nom incontournable des lettres africaines contemporaines. Il est l'auteur de six romans, dont Une magie ordinaire qui vient de paraître , et de nombreuses pièces de théâtre.
Homme de théâtre et romancier, le Franco-Togolais Lossi Efoui est un nom incontournable des lettres africaines contemporaines. Il est l'auteur de six romans, dont Une magie ordinaire qui vient de paraître , et de nombreuses pièces de théâtre. © Pauline Ruhl Saur / Édition du Seuil
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« J’écris parce que j’ai fait l’expérience dans ma vie de la difficulté de dire. J’ai vécu des expériences qui m’ont abandonné aux portes du langage. Il ne s’agit pas seulement de nommer les choses. Il s’agit de faire récit et donc de voir jusqu’à quel point on peut faire récit pour pouvoir approcher ce que l’on veut dire. L’écriture, ça a été pour moi la possibilité d’affronter la difficulté de dire et j’écris pour ça. »

C’est en effet entre le dicible et l’indicible que se campent les récits du Togolais Kossi Efoui, dont nous venons d’entendre la belle profession de foi. Âgé d’une soixantaine d’années, l’homme est l’auteur d’une œuvre protéiforme, partagée entre théâtre et romans. Avec une vingtaine de pièces de théâtre à son actif et six romans, il occupe une place à part dans la littérature africaine contemporaine, se signalant à l’attention par la dimension à la fois poétique et mystique de sa narration. « Je n’ai jamais séparé la poésie de l’exorcisme », explique le narrateur autofictionnel d’Une magie ordinaire, le nouveau roman sous la plume de cet auteur prolifique et profond.

« Pays sans pays »

Né au Togo en 1962, Kossi Efoui a rédigé l’essentiel de son œuvre en France où il est venu se réfugier à l’âge de 28 ans. Il avait dû fuir son pays à la suite de sa participation au mouvement étudiant des années 1980. Les manifestations avaient été durement réprimées par le régime du général Eyadéma, arrivé au pouvoir par un coup d’État dans la foulée de l’indépendance.

Comment alors s’étonner que le Togo soit qualifié, dans l’œuvre de Kossi Efoui, de « pays sans pays », d’« entité dont le nom étatique traîne dans son sillage un parfum de terreur » ? Paradoxalement, même si l’écrivain rappelle souvent qu’il n’a aucune fascination de l’origine, son pays constitue une source d’inspiration majeure dans son œuvre littéraire, comme en témoigne son dernier roman, fondé sur la nostalgie du pays perdu, mais restitué par la magie de la littérature.

Une magie à laquelle l’écrivain déclare avoir été sensible depuis très tôt. Se passionnant pour le théâtre, le jeune Kossi Efoui savait déjà qu’il voulait écrire. Devenir écrivain ou rien. Kossi Efoui :

« J’ai beaucoup écrit depuis mon adolescence. J’ai fait beaucoup de pastiches. Et ça m’apparaissait comme une évidence effectivement que j’étais appelé à écrire. J’aime bien le terme de " vocation ". J’ai fait mes études de philosophie en même temps que j’étais déjà engagé dans l’écriture. Je ne saurais pas dire comment, mais je pense que les lectures des philosophes m’ont poussé à chercher de la densité dans mes fictions. Le récit de l’expérience trouve sa densité dans le fait qu’on y ajoute de la réflexion, la réflexion sur l’expérience. Et je crois que ma lecture des philosophes a contribué à me pousser dans cette direction. » 

Subversif à souhait

C’est en 1989 que Kossi Efoui s’est fait connaître du grand public en remportant le Grand Prix Tchicaya U Tam’si du Concours théâtral interafricain pour sa pièce Le Carrefour. Révélée sur les antennes de RFI, la pièce en question, subversive à souhait, donne à voir les mécanismes répressifs des régimes totalitaires installés sur le continent africain. Sa narration parodique s’inspire autant de Samuel Beckett que du Congolais Sony Labou Tansi dont l’auteur a fait sienne le constat tragique : « Le temps est par terre… complètement par terre. »  

Cette vision de l’histoire à la dérive, incapable de susciter des rêves de liberté et du bonheur, Kossi Efoui la partage avec les écrivains de sa génération. Ceux-ci ont pour noms : Mabanckou, Waberi, Raharimanana, entre autres. Sur ce qu’il a en commun avec les compères de sa génération qu’on appelle parfois « la troisième génération d’écrivains africains », Kossi Efoui précise :

« Je crois qu’il y a des interrogations historiques et politiques qui restent le substrat commun de notre approche de la littérature. Il y avait aussi un refus de l’idée qu’il y aurait une sorte de marque africaine à travers nos différentes écritures. Nous étions dans la revendication de la singularité de chaque créateur qu’on semblait refuser aux écrivains africains. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais il y avait une idée de la collectivité, de la source et même du caractère collectif de nos différentes écritures. Je crois que ce refus-là, on a bien fait de l’articuler dans nos discours, dans nos interviews. Ce qui n’empêche pas qu’on reste tous "panafricanistes" au sens où nous avons l’utopie de rendre un jour effectif et visible quelque chose que nous avons appris à considérer comme une unité culturelle de l’Afrique. »

Bref, l’Afrique n’existe pas, comme l’ont parfois affirmé les épigones de la génération littéraire 1990, qui se disaient d’abord écrivains, avant de proclamer leur appartenance géographique. Des écrivains, avec chacun sa sensibilité personnelle. Pour l’auteur d’Une magie ordinaire, sa singularité consistait à considérer l’écriture comme un jeu de marionnettes et l’écrivain comme un « montreur de pantins ». « Écrire, c’est tirer la langue », aime-t-il à répéter, livrant les clefs d’un art poétique qui relève à la fois du jeu et de la distanciation.

Une magie ordinaire est le sixième roman sous la plume du romancier togolais. Avec ce nouveau roman, réaliste et autofictionnel, son auteur semble avoir voulu faire un pas de côté par rapport à ses précédents ouvrages. Comment ? Pourquoi ? C’est ce que nous verrons la semaine prochaine dans la deuxième partie de cette chronique consacrée à Kossi Efoui, dramaturge, romancier, mais aussi marionnetiste !


Une magie ordinaire, par Kossi Efoui. Éditions du Seuil, 157 pages, 17,50 euros.

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