Chemins d'écriture

Sara Mychkine, auteure d’avant-garde à la poésie incandescente et inventive

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Passionnée de Rimbaud et de Maya Angelou, Sara Mychkine est entrée en littérature par la poésie. Repérée sur Instagram, elle a publié à 23 ans son premier recueil de poèmes, L’Ethé, à mi-chemin entre mythologies et  tourments du quotidien. Auteure engagée et militante, elle publie avec De minuit à minuit un puissant premier roman en vers libres, situé au carrefour de la sociologie, de l’histoire et du féminisme. Sa poésie incandescente et inventive fait d’elle une poétesse d’avant-garde.  

D'origine franco-tunisienne, Sara Mychkine est romancière et poète. Elle vient de publier son premier roman en vers De minuit à minuit, aux éditions Le Bruit du monde
D'origine franco-tunisienne, Sara Mychkine est romancière et poète. Elle vient de publier son premier roman en vers De minuit à minuit, aux éditions Le Bruit du monde © Ismael Fiant Salim
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« Ma douce, Tu dois être bien loin, à présent, maintenant qu’ils t’ont arrachée à moi. Et j’ai peur, tu sais ? Que tu nous laisses dans l’oubli, que tu t’absorbes dans leur monde et que tu nous regardes avec leurs yeux. Car leur monde, c’est le monde. Y est ce qui doit être. Nous, on a de la misère plein les veines, des bouts de tentes pour ciel et on chie sur leurs paliers. Puis on attend et nos cernes se creusent. La nuit finit toujours par tomber. »

De minuit à minuit est un roman épistolaire en vers d’une rare intensité, dont nous venons d’écouter la première strophe. Réparti en dix-sept mouvements, comme autant de chants poétiques, l’ouvrage se lit comme une épopée moderne. Elle retrace, mêlant tragédies, ténèbres et espoirs déçus, la descente aux enfers d’une mère toxicomane, pleurant l’abandon de sa fille. L’auteure est une jeune femme de 24 ans, d’origine franco-tunisienne et surtout immensément talentueuse.

Une lectrice impulsive

Sara Mychkine, née à Paris, a grandi entre la capitale française et la province. Elle a fait des études de droit et de philosophie. Actuellement étudiante en art, à l’École du Louvre, elle aime se définir avant tout comme poétesse et raconte avoir écrit son premier poème à l’âge de 10 ans, sur le thème des arbres de son jardin. Adolescente solitaire, taraudée par une quête identitaire compliquée du fait de sa double culture, elle se souvient d’avoir été, dès sa petite enfance, une lectrice impulsive. : « J’ai toujours lu beaucoup, se souvient l'auteure. Je me rappelle quand j’arrêtais de lire, après j’avais des étoiles dans les yeux. Un peu comme quand on se lève trop vite. Les premiers livres qui m’ont vraiment marquée, où je me suis dit que c’est ça la littérature vraiment, c’était Rimbaud. Il a une parole qui porte, qui est extrêmement subversive, extraordinaire dans sa manière et de manier la poésie et dans tout ce qu’il porte. Et pour le roman, c’est Dostoïevski, "Les Frères Karamazov". Il y avait quelque chose du fait de capter la complexité de l’être humain : on ne contrôle pas, en fait, complètement sa vie, ses désirs, et puis toute la confrontation avec les autres. Et plus, tout ça pris dans un immense changement sociétal. »

Rimbaud, Dostoëvsky, mais aussi les Américaines Audre Lorde, Toni Morrison et Maya Angelou, qui sont les auteures de chevet de Sara Mychkine, ne sont sans doute pas étrangers à la détermination maintes fois affirmée de l’auteure de « vivre en poétesse ». « Vivre poétesse, écrit-elle dans les pages de son recueil poétique, c’est briser les cercles du temps, brûler l’enfant, l’adolescente, j’ai l’enclume dans une main et je frappe… »

La « colline du crack »

Elle frappe fort, la jeune Sara Mychkine, dans son nouvel opus où elle met à nu les misères et les hypocrisies au cœur de la société française. Son roman, De minuit à minuit, raconte les ténèbres morales qui guettent la société à travers le récit de sa narratrice toxicomane, issue de l’immigration, errant entre la « colline du crack » mal famée du Nord-Parisien et les hôtels de passe. Les services sociaux finissent par lui retirer la garde de sa fille, lui laissant tout juste le temps de rédiger, à l’attention de cette dernière, une lettre d’explication et d’adieu.

Le roman est composé de la longue missive que la mère, « indigne » aux yeux de la société, adresse à sa fille, revenant sur les fragilités et les traumatismes qui ont conduit à leur séparation déchirante, mais aussi sur les déterminismes sociaux, historiques et genres à l’origine de cette situation. Théâtre de la déréliction humaine, la « colline du crack » devient sous la plume militante de Sara Mychkine la métaphore de l’effondrement général de la société moderne, insensible aux cris d’aide émanant de ses marges. Placée sous le signe de la contestation sociale, la lettre interroge les enjeux de domination capitaliste, coloniale et patriarcale, comme l’a expliqué l’auteure sur RFI : « Je vois difficilement comment un roman ne peut pas être un récit social, comme dans tous les cas un écrivain ou une écrivaine est inscrite dans un récit social. Il y a vraiment une idée de l’interdépendance : tout ce qui va transiter dans ma société à moi, c’est quelque chose qui relève de moi aussi. J’avais pour l’ambition avec ce roman-là de trouver une personne qui puisse incarner tout ce qui est de l’idée de la marge en France et de montrer en fait à quel point la marge constitue le centre, à quel point elle révèle qu’est-ce que c’est la France à travers son existence à elle. Il y avait cette ambition-là qui a beaucoup déterminé aussi la manière dont j’ai constitué cette narratrice même si ce n’était pas un processus vraiment conscient. »

Récit en vers

Malgré la puissante peinture de tourments sociaux que propose Sara Mychkine dans son roman, il serait réducteur de limiter ce dernier à sa dimension sociale, qui s’accompagne ici d’une recherche sur la voix, sur une forme exigeante, comme en témoigne le choix de la narration épistolaire. À cela s’ajoute la contrainte du récit en vers, qui apporte à la narration une vraie modernité et une vraie force. « C’est une forme un peu problématique, admet l'auteure. On ne sait pas exactement où la situer. Ça échappe aux genres tels qu’on les construit. Vraiment difficile de ne rien concéder à une écriture poétique et en même temps avoir quand même une structure qui soit romanesque. C’est vraiment pas du tout les mêmes codes. Et normalement, justement quand on écrit de la poésie, on sort de tout ce qui est vouloir donner du sens qui soit commun. Dans un roman, on ne peut pas permettre ça, pas à ce point-là. Mais pour autant, je pense qu’il y a vraiment une force dans la langue poétique, parce qu’elle convoque autre chose, de l’ordre de la musicalité, du rythme, et qui peut amener de grandes histoires, de grands mouvements qui nous habitent profondément. »

Ce grand mouvement a pour nom ici « amour ». « Je t’aime, /geyser,/ cataclysme, crevasse courant/ sur des lambeaux/ de terre brûlée./ Je t’aime./ Ce n’est peut-être pas accidentel que le roman se clôt sur cette déclaration d’amour, portée par une langue à la fois incandescente et réparatrice.


De minuit à minuit, de Sara Mychkine. Éditions Le Bruit du monde, 150 pages, 16 euros.

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