Chemins d'écriture

Retour dans le Harlem de la Grande dépression, avec Louise Meriwether

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Cinquante ans après sa publication aux États-Unis, sort en traduction française cette année, un grand livre du canon de la littérature noire américaine. Papa courait les paris sous la plume de la Newyorkaise Louise Meriwether, est un livre séminal sur la condition noire aux États-Unis, avec comme arrière-fonds temporel les années de la Grande dépression. Chemins d’écriture revient sur la redécouverte de ce joyau de lettres africaines-américaines.

"Louis Meriwether a raconté ce que signifie être un homme ou une femme noire dans ce pays", écrivait James Baldwin dans sa préface au premier roman Louise Meriwether, qui paraît en traduction française cette année, sous le titre: Papa courait les paris.
"Louis Meriwether a raconté ce que signifie être un homme ou une femme noire dans ce pays", écrivait James Baldwin dans sa préface au premier roman Louise Meriwether, qui paraît en traduction française cette année, sous le titre: Papa courait les paris. © Fern Logan, Adagp, Paris
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Paru en 1970, Papa courait les paris est le premier roman de l’Africaine-Américaine Louise Meriwether. Centenaire depuis le mois de mai, l’écrivaine a grandi dans le Harlem des années 1930 dont elle raconte la vitalité et la saga tragique dans un récit haut en couleurs, peuplé d’hommes et de femmes inoubliables, avec leurs parts de dignité et de désespoir.

A la fois récit de formation, roman social et autofiction, l’ouvrage s’est imposé au fil des années comme un classique de la littérature noire américaine. Il est préfacé par James Baldwin, qui rappelle dans sa présentation que la principale originalité de ce livre est d’avoir donné à voir pour la première fois la tragédie de la condition noire à travers le regard naïf d’une d’une jeune adolescente prenant conscience de son statut de dominée dans une société blanche et patriarcale.

Le livre fut vivement acclamé lors de sa parution, qui coïncide avec la sortie du célèbre L’œil le plus bleu de Toni Morrison. Tout juste un an plus tôt, une autre grande plume des lettres noires américaines, Maya Angelou, avait fait paraître son récit autobiographique racontant l’oppression raciale institutionnalisée dans son pays. Or, contrairement aux ouvrages de ses deux consœurs, le roman de Meriwether fut oublié pendant des décennies, avant d’être repêché seulement récemment à la faveur du centenaire de l’auteure, comme le rappelle le traducteur français de l’ouvrage Romaric Vinet-Kammerer.

 « Louise Meriwether a écrit un seul roman pour adulte. Passé le succès au moment de la parution, la page a été tournée. Il a fallu que les éditeurs nord-américains le republient au début des années 2000 pour que le texte continue à circuler. Et, puis, dans les années 2010, un prix littéraire a été créé au nom de Louise Meriwether, ce qui a permis de donner un peu de lumière sur elle. En 2021, il y a eu un grand portrait de Louise Meriwether dans le "New York Times", disant qu’il était encore temps de la lire. Ce temps va venir en 2023 car l’article a dû donner l’idée aux autres éditeurs étrangers. Cette année l’Italie publie une traduction de "Papa courait les paris". L’Allemagne va en publier une cet automne. » 

Un récit séminal

Louise Meriwether est née en 1923 à New York dans une famille africaine-américaine modeste, installée à Harlem de fraîche date. Elle aura la chance toutefois de faire des études supérieures. Puis, entrée dans la vie professionnelle dans les années 1950, la jeune Louise travaillera plusieurs années comme journaliste littéraire pour The Los Angeles Sentinel, l’un des plus vieux journaux américains destiné à la communauté noire. Elle a également été scénariste à Hollywood et universitaire, tout en participant parallèlement au mouvement des droits civiques, qui a connu à cette époque son apogée sous le leadership de Martin Luther King.

La jeune journaliste s’était liée d’amitié avec Malcolm X, Muhammad Ali et surtout James Baldwin qui écrira la préface de son premier roman. Si le nom de Louise Meriwether reste associé à Papa courait les paris, considéré par le New York Times comme un livre séminal sur la vie noire aux États-Unis, l’écrivaine a à son actif une œuvre prolifique, composée de romans historiques, d’essais et surtout de récits pour la jeunesse.

Originaire du Sud rural, la famille Meriwether avait pendant les années de la Grande Dépression quitté la Caroline du Sud, économiquement dévastée et racialement polarisée, pour le Nord, dans l’espoir d’y trouver de quoi subvenir à ses besoins et une vie plus digne, loin de la discrimination raciale qui régnait dans le Sud. À Harlem, où la famille s’est finalement installée, le père de Louise exerça le métier de concierge, alors que sa mère effectuait des ménages chez des voisins plus prospères du quartier. Très largement inspiré de la vie de l’auteure, Papa courait les paris dépeint le dépérissement de toute une communauté, sous l’effet de la crise économique.

Souffre-douleur

Témoin privilégié de la descente de sa famille dans la pauvreté et la misère, témoin aussi des drames de ses voisins, Francie raconte avec un égal bonheur et un sens d’observation aussi ironique qu’aiguisé, les joies et les malheurs des siens. Au cœur du roman, la famille Coffin, est composée des parents et de leurs trois enfants, dont la narratrice, la cadette de la fratrie. Du haut de ses douze ans, celle-ci rend compte des joies et des déceptions des siens, quand elle n’est pas en train de gambader sur la terrasse de son immeuble avec ses copines ou dévaler les rues en quatrième vitesse pour ne pas arriver en retard à l’école.

 « Le livre fonctionne, soutient le traducteur, par une série de vignettes qui vont s’enchaîner : un moment où elle va relever les paris, un moment à l’école, un moment dans les rues, une bagarre… Une des choses qui m’a très vite touché dès les premières pages, c’est le côté cavalcade dans les rues, le fait de rentrer dans les immeubles, on est sur les perrons, on est dans les cours, on monte dans les étages, on monte sur les toits, on passe d’une rue à l’autre, on zoome vers les appartements, puis on dézoome sur tout New York, avec Central Park, avec les gratte-ciel au loin. C’était assez formidable, en fait. »

Par ailleurs, chez elle, Francie est le souffre-douleur de ses frères qui rient de ses larmes faciles et confidente de sa mère qui tente péniblement de joindre les deux bouts, alors que le père, souvent au chômage, passe son temps à réfléchir aux chiffres qu’il va jouer dans des paris clandestins avec l’espoir de toucher le gros lot. Nous assistons pas à pas au déclassement progressif des Coffin, Le lecteur suit pas à pas le déclassement progressif des Coffin, mais la narration demeure étonnamment dépourvue de pathos. Ce roman est un hommage de l’auteur à la résilience des siens, à leur solidarité communautaire, ce qui leur permet de faire face au racisme et aux violences policières dont ils sont victimes jusque dans l’intimité de leur vie.  

Chroniqueur des passions du petit peuple

La peinture sociale pleine d’empathie et de légèreté que propose Louise Meriwether dans son roman, rappelle l’art sophistiqué du grand romancier yiddish Isaac Bashevis Singer. Tous les deux sont des formidables chroniqueurs des passions du petit peuple des ghettos et mettent en scène des personnages admirables et tragiques jusque dans leurs travers. Les meilleurs exemples de ces héros du quotidien que l’auteure de Papa courait les paris admire tant sont sans doute le père de Francie ou encore son plus jeune frère qui finissent tous les deux toutefois par sombrer dans leur désespoir.

« Je pense que c’est vraiment une photographie d’un moment américain, un livre qui nous parle de la Grande Dépression dans un microcosme américain à l’échelle d’un quartier et qu’à travers cette description de l’entrée dans l’adolescence d’une petite fille, il nous parle d’un moment de bascule de la société américaine. C’est la photographie d’une période », explique son traducteur français, attirant l'attention sur la noirceur sur laquelle se clôt le roman de Meriwether.

Au-delà de sa dimension sociologique, Papa courait les paris est aussi un roman de formation où l'on voit la jeune héroïne, « à l’aube de l’adolescence », évoluer, affrontant avec inquiétude les mystères de la vie et ceux de sa sexualité naissante. Harlem, source de tous les dangers pour les jeunes femmes comme elle, mais aussi lieu d’amour et de tendresse, devient sous le regard de la narratrice autofictionnelle de Louise Meriwether, la métaphore de notre monde complexe, richement nuancé. Les lecteurs se reconnaîtront dans cette imagination résolument universelle.

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► Papa courait les paris, par Louise Meriwether. Roman traduit de l’anglais par Romaric Vinet-Kammerer. 240 pages, 21 euros.

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