Chemins d'écriture

À la recherche de la fraternité universelle avec Kebir M. Ammi

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Venu à l’écriture en découvrant Robinson Crusoë de Stevenson à l’âge de 14 ans, l’Algérien Kebir Mustapha Ammi s’est imposé comme un auteur majeur des lettres francophones. Son œuvre riche d’une quinzaine de romans fait une large place à l’histoire du Maghreb. À la recherche de Glitter Faraday, son nouveau roman raconte l’Algérie postcoloniale et les espérances que le combat de ce pays contre l’impérialisme avaient suscité dans le monde.

Kebir Mustapha Ammi est romancier, dramaturge et poète. Il est l'auteur d'une quinzaine de romans dont Partage du monde, Le Ciel sans détours, des Vertus immorales et Mardochée aux éditions Gallimard.
Kebir Mustapha Ammi est romancier, dramaturge et poète. Il est l'auteur d'une quinzaine de romans dont Partage du monde, Le Ciel sans détours, des Vertus immorales et Mardochée aux éditions Gallimard. © Project'iles
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Kebir Mustapha Ammi est romancier, dramaturge et poète. Né en 1952, de père algérien et de mère marocaine, il a grandi à Taza, situé à la frontière du Maroc et de l’Algérie. Refusant les appartenances étriquées qui réduisent les êtres à leur identité nationale ou religieuse, l’écrivain aime à se définir comme « maghrébin » ou « Africain » et puise l’inspiration pour sa fiction dans la grande histoire du continent. Son nouveau roman À la recherche de Glitter Faraday, qui vient de paraître, ne déroge pas à la règle.

Ce roman puise son miel dans le devenir de l’Algérie révolutionnaire et ses liens méconnus avec les États-Unis, mais ô combien romanesques : « C’est l’histoire d’un écrivain algérien qui a besoin d’aller en Amérique à la recherche d’un manuscrit qui a été remis, à la fin des années 1970, à un Américain qui s’appelle Glitter Faraday qui avait vécu quelque temps à Alger. Il va finir par retrouver Glitter Faraday, qui était un ancien du Vietnam, mais qui a eu le malheur d’aimer une femme blanche. C’est un homme abîmé aujourd’hui, qui a plus de 65 ans. Glitter Faraday a toujours pensé que ce manuscrit s’était perdu… »

En réalité, le manuscrit n’est pas perdu, comme le lecteur s’en rend compte au fil des pages. Il est passé de main en main avant d’atterrir… Sans divulgâcher la fin, contentons-nous tout simplement de souligner que la fortune transatlantique de ce manuscrit a inspiré à Kebir Ammi l’un de ses romans les plus rock and roll, où se mêlent le thriller, le récit historique et l’intime.

Terre promise

L’action d’À la recherche de Glitter Faraday se partage entre l’Algérie post-coloniale et l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui, mais qui est toujours gangrenée par le racisme et la violence.

Nous sommes dans les années 1960-1970. Libérée tout juste du joug colonial, l’Algérie est la capitale mondiale de la lutte contre l’impérialisme, c’est le grand pôle d’attraction pour les radicaux du monde entier. Les premiers à venir étaient ceux qu’on a appelés les « pieds rouges », des Français qui avaient quitté par conviction politique leurs conforts métropolitains afin de participer à la construction de l’Algérie. « L’utopie algérienne de ces années était portée par une grande générosité », fait remarquer Kebir Ammi.

À partir de 1967, les Français sont rejoints par les militants américains du Black Panther Party, pourchassés chez eux par le FBI. Le héros du roman Gilette Faraday fait partie de cette mouvance. Il voit en Algérie une véritable terre promise. « Tous ces gens croyaient, explique Kebir Ammi, au paradis terrestre. Et même Glitter Faraday qui avait subi un lynchage absolument abominable dans le sud des États-Unis, il pense que le salut va lui venir dans cette Algérie où sont allés avant lui les aînés, ceux du Black Panthers. C’est aussi l’hymne à cette fraternité. Nos frères peuvent être Chinois, ils peuvent être Nigérians, Canadiens, Inuits, Chiliens… La fraternité, c’est la conviction que nous avons besoin des autres pour vivre. »  

Or malheureusement la fraternité ne durera qu’un temps. Glitter Faraday, comme d’autres avant lui, doit quitter l’Algérie et regagner son pays. Proche des dissidents algériens, il emmène dans sa valise le manuscrit que lui a confié un grand poète avant d’être assassiné par les sbires du régime militaire qui s’est installé à la tête du pays. C’est le point de départ du roman qui nous conduit d’Alger à San Francisco où le narrateur retrouvera Glitter Faraday, tentant péniblement de survivre parmi les sans-abris.

Des tyrans et des prévaricateurs

Structuré par des allers et retours incessants entre l’Algérie et les États-Unis, le passé et le présent, le roman de Kebir Ammi fourmille d’actions à rebondissements et de personnages fascinants.

Qui sont les personnages ? Ils sont militants, idéologues, intellectuels qui, issus de part et d’autre de l’Atlantique, rêvent d’un monde meilleur et fraternel. Leurs rêves et leurs espoirs illuminent les pages du roman, mais les espérances soulevées sont vite anéanties par les cyniques et les prédateurs, comme dans l’Algérie des généraux où, comme le fait dire Kebir Ammi à son narrateur, « une belle révolution avait été détournée par des tyrans et des prévaricateurs ».

Mais l’esprit de la révolution algérienne, tout comme les rêves de ceux qui ont combattu les suprémacistes et racistes en Amérique, survit à travers la musique, en particulier le jazz. Son rythme entraînant et célébrationnel résonne dans les pages du roman ainsi que sur les routes qu’emprunte le narrateur, avec pour compagnons Charlie Mingus, Archie Shepp ou encore Sara Vaughan.

À la recherche de Glitter Faraday est un roman baigné de musique, d’autant que, comme l’a confié l’auteur, la musique était aussi à l’origine de son livre : « Je suis parti un jour de Taza, au Maroc. Les frontières étaient ouvertes en 1969. Avec mon frère, on avait entendu parler d’un festival de musique panafricain et on aimait beaucoup la musique. Alors, vous imaginez, pour deux jeunes de 17 et 19 ans, se trouver dans la magnifique baie d’Alger et écouter Nina Simone, Myriam Makeba, Manu Dibango, Archie Shepp, c’était absolument fantastique. Il y a eu une passerelle qui s’est formée entre ce souvenir de jeune et l’adulte que j’étais devenu. Je voulais absolument écrire une espèce d’hommage à cette Algérie, à tous ces gens qui ont cru en cette Algérie qui était absolument merveilleux. Je voulais absolument écrire cette histoire. »

Cette histoire, c’est celle de Glitter Faraday, anti-héros qui croit que « le crépuscule de l’humanité est pour demain et que personne ne pourra empêcher ça ». Malgré les misères que connaît Faraday de retour dans son pays, le roman se clôt sur l’espoir que la jeune génération qui s’est emparé du manuscrit perdu du poète algérien, saura garder vivace le rêve de la fraternité universelle.

À la recherche de Glitter Faraday, par Kebir M. Ammi. Éditions Project’îles, 279 pages, 17 euros.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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