Chronique des médias

Altice le Goliath contre Reflet le David

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Retour sur le procès qui opposait cette semaine au tribunal de commerce le groupe Altice, propriétaire de SFR et de BFM TV, et un site d’informations Reflets.info.

Le patron du groupe Altice, Patrick Drahi, lors du lancement de la nouvelle chaîne BFM Paris, le 7 novembre 2017.
Le patron du groupe Altice, Patrick Drahi, lors du lancement de la nouvelle chaîne BFM Paris, le 7 novembre 2017. REUTERS/Benoit Tessier
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Pour avoir une idée de ce que représente ce litige entre Altice le Goliath et Reflets le David, il faut imaginer que le chiffre d’affaires d’Altice France, le plaignant, est près de 300 000 fois supérieur à celui du site d’information. Reflets Info, c’est en effet 40 000 euros de chiffre d’affaires par an, une dizaine de journalistes avec cartes de presse et quelques contributeurs extérieurs. Qu’a donc fait ce modeste site pour mériter d’être poursuivi par le géant Altice, propriété du milliardaire Patrick Drahi ?

Et bien il a commis l’affront de publier des informations obtenues à partir de données piratées qui ont porté ombrage à l’image de ce groupe et de son propriétaire. Rien de très compromettant mais quand même : on apprenait que Patrick Drahi raffolait des jets privés malgré les engagements de son groupe face au dérèglement climatique, qu’il était un champion de l’optimisation dans des paradis fiscaux à travers l’achat d’œuvres d’art ou encore qu’il s’était fait voler un certain nombre de mots de passe dans une de ses propriétés.

Le tribunal de commerce de Nanterre a rendu jeudi une bien curieuse décision. Saisi au nom de la loi de 2018 sur la protection du secret des affaires, il a estimé qu’on ne pouvait pas faire ainsi usage d’informations obtenues illégalement par un groupe de pirates. Un groupe de hackers, Hive, qui avait lui-même déposé ces données sur le darknet, à la suite d’une demande de rançon, un rançongiciel, qui n’aurait pas abouti. Le site Reflet, qui emploie un cyberactiviste chevronné sous le pseudonyme de Bluetouff, est très au fait des phénomène de hacking. Le site avait lui-même révélé comment une société française avait vendu du matériel d’espionnage au régime de Kadhafi, en Libye.

Reflets n’a donc eu aucune peine à repérer et à exploiter la fuite de données. Là où le tribunal de commerce a surpris, c’est qu’il a estimé que le site n’avait pas à retirer les articles sur Altice qu’il avait publié mais qu’il lui interdisait d’en publier de nouveaux. Une façon de protéger le secret des affaires, selon lui. Mais pour Reflets, qui a fait appel, il s’agit ni plus ni moins d’une censure qui s’opère non pas sur le passé mais sur l’avenir de ce qui pourrait être publié. Pourra-t-il demain publier d’autres articles sur Altice à partir d’autres données ? Quid des lanceurs d’alerte qui s’appuient sur de tels documents privés ? La procédure bâillon a en tous cas a été dénoncée comme attentatoire à la liberté de la presse par RSF comme par les syndicats de journalisme. Elle est aussi inefficace à en juger par la notoriété soudaine de Reflets.

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