Osons la mer ! Ce cri du cœur est celui d'un livre d'un des plus grands spécialistes du secteur maritime, Christian Buchet, directeur d'études à l'Institut catholique de Paris. A la tête d'Océanides, un groupe de réflexion dédié à la mer, Christian Buchet travaille avec 40 pays. Dans son livre, aux éditions du Cherche Midi, il regrette le manque d'ambition français.

Marina Mielczarek : Votre livre Osons la mer ! est un cri du cœur. La France manque d’ambition, dites-vous ?
Christian Buchet : Cela fait vingt-cinq ans que je milite pour que la France soit à la hauteur de son potentiel maritime ! Mais tant que les villes de France ne seront pas reliées à leur port de proximité (port régional) le flux des marchandises ne fonctionnera pas !
RFI : C’est une question d’aménagement du territoire ?
C.B : Evidemment oui ! Rendez-vous compte, nos deux grands ports, Marseille et Le Havre, connaissent une activité bien moins grande que les voisins d’Europe du Nord ! Aujourd’hui les importations et exportations françaises se font plus par les ports des Pays-Bas de la Belgique et du Luxembourg que Marseille ou Le Havre !
RFI : Vous plaidez pour construire de nouvelles voies ferrées et des routes entre les villes et la mer ?
C.B : Oui ! Et c’est au niveau régional que cela doit se faire. Chaque département, chaque région devrait préparer un plan pour développer son accès à la mer. Ce serait bon pour l’emploi et en plus très bon pour protéger le climat ! Moins de distances d’acheminement donc moins de pollution.
RFI : Quid du transport par les fleuves ? Depuis vingt ans, le secteur du transport fluvial demande aux gouvernements successifs des aides pour relier les ports aux grandes villes intérieures !
C.B : Oui ! Le transport fluvial est un formidable atout. Un tel développement ferait redémarrer l’économie française ! Une politique maritime n’est pas une politique de la pêche, c’est une politique du territoire et de son aménagement, la France avait plus de voies navigables sous Louis XIV qu’aujourd’hui.
RFI : Pourquoi ça ne se fait pas ?
C.B : Parce qu’il n’y a pas de volonté politique ! Je ne jette la pierre à personne. Je les rencontre les hommes et femmes politiques : oui, ils font des choses, mais ils ont tellement de choix dans les budgets à arbitrer qu’ils n’ont pas fait de ces raccordements jusqu’aux ports, leurs priorités.
RFI : Votre ouvrage dénonce des objectifs à court terme…
C.B : L’aménagement du territoire est un projet à long terme. L’histoire a prouvé que les puissances qui réussissent sont les pays qui ont su développer leur territoire vers leurs ports. Cela désenclave le pays et le tourne vers l’extérieur.
RFI : Vous le dites franchement, vous craignez l’offensive chinoise en Europe. Les Chinois qui rachètent et développent des ports, les derniers en date étant des ports d’Italie.
C.B : Les ports d’Europe feront partie des Nouvelles Routes de la Soie (ce grand programme d’infrastructures que la Chine a lancé en 2013 NDLR). En Grèce, ils ont maintenant le port du Pirée. En Italie, ils vont investir dans les ports de Gênes, de Trieste et de Savone. La signature est donnée, ils se donnent dix ans pour achever les travaux.
RFI : En quoi est-ce une menace pour la France ?
C.B : parce que toutes les marchandises passeront par l’Italie et nous devrons payer des taxes supplémentaires à l’Italie puisqu’il s’agit d’un accord unilatéral avec la Chine. Tout le quart sud-est de la France, les patrons d’entreprise comme les habitants consommateurs seront piégés.
RFI : C’est une incongruité lorsqu’on sait que la Chine n’est que le 10ème territoire maritime au monde, bien loin de la France qui occupe le podium !
C.B : Exactement ! Nous sommes le deuxième domaine maritime au monde, juste derrière les Etats-Unis. Notre chance est l’Outre-Mer. A l’échelle européenne, l’Europe possède la plus grande surface de mer du globe !
RFI : Vous aimez dire que l’Union européenne sera maritime ou ne sera pas !
C.B : C’est vrai ! Ce qu’il nous faut, c’est une politique d’aménagement du territoire. En restant dans le flux, nous réussirons à accroître notre économie future. Toutes les civilisations qui ont perduré dans l’histoire de l’humanité, les Mayas, les Aztèques, en Amérique du Sud ou la Rome antique par exemple, sont des civilisations qui s’étaient ouvertes à la mer.
RFI : En qualité de directeur d’Océanides (programme de 40 pays autour des questions maritimes) vous confirmez la thèse qu’une circulation des flux maritimes est la clé d’une démocratie économique.
C.B : La circulation, se tourner vers les flux, est la vraie clé de la réussite. Notre génération a la chance d’entrer dans une nouvelle ère géopolitique, protectrice de l’environnement. Bien allons-y, osons plongez dans la mer !
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