Pourquoi n'y a t-il pas de transport sur le fleuve Sénégal ? Pourquoi y a t-il tant de camions sur les routes d'Egypte et aussi peu de quais le long du Nil ? Les fleuves africains ont perdu le prestige d'autrefois. Comment les valoriser sur un continent en proie aux guerres, aux sècheresses ou au terrorisme ? Dans notre série Grands Témoins, en marge de l'exposition au Musée des Confluences de Lyon, nous avons rendez-vous avec Erik Orsenna. L'écrivain voyageur publie, la Terre a soif, aux éditions Fayard.

Marina Mielczarek : Les fleuves africains font partie de vos fleuves préférés. Malheureusement cette richesse est sous-exploitée ou mal exploitée à cause des conflits. Le fleuve Nil par exemple avec l’Egypte et l’Ethiopie
Erik Orsenna : Trois pays se partagent le trafic sur le Nil. L’Égypte étant prédominante interdisait à ses voisins dont l’Éthiopie (qui compte pourtant pour 80% du débit du Nil) d’accéder aux ressources du Nil. Or, l’Éthiopie (l’un des pays les plus pauvres du monde) a décidé que cette mainmise ne pouvait plus durer.
Vous êtes d’ailleurs allé sur place, en Éthiopie pour découvrir le barrage Renaissance que l’Éthiopie a construit toute seule, sans accord des voisins. En février 2022, ce barrage a fait la Une des médias avec l’ouverture d’une centrale hydroélectrique contestée par l’Égypte
On comprend l’intérêt de l’Éthiopie pour irriguer ses cultures. Le pays veut aussi vendre de l’électricité (surtout dans le contexte de pénurie que nous traversons en ce moment) aux voisins Djibouti, Kenya, Soudan…

Oui. Dans ce club il y a la Chine (barrage des Trois-Gorges) ; le Paraguay/Brésil (barrage de Itaipu) ; Venezuela (barrage de Guri)…
L’ambassadeur d’Égypte, que vous avez rencontré, vous avait cependant dit que ce barrage n’existerait jamais. Cette confrontation va-t-elle aboutir en une véritable guerre armée ?
Ce serait possible ! Le barrage Renaissance retient 80% du débit du Nil. Je suis professeur à l’École de Guerre de Paris. Avant le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, je disais que l’une des zones de plus grands risques de guerre était entre l’Égypte et l’Éthiopie.
Vous dîtes que si la guerre n’est pas encore déclarée, c’est en raison de la présence chinoise en Éthiopie qui freine pour le moment la colère égyptienne
Il est certain que l’Éthiopie est le pays où les Chinois se sont le plus installés. Et je ne crois pas qu’on entre en conflit avec la Chine sans y avoir réfléchi avant ! Bombarder l’Éthiopie, c’est bombarder la puissance chinoise.
Avec cette menace sur le Nil, vous prouvez que les fleuves avec leur puissance hydroélectrique et leur capacité de transport sont au cœur de la géopolitique mondiale. Le terrorisme empêche également le développement pacifique des fleuves africains.
Cette pacification entre pays voisins autour d’un fleuve qui les traverse a été possible au Sénégal autour du fleuve Sénégal. Malheureusement, ces compromis n’ont pas duré assez longtemps pour développer les projets de transport de marchandises ou de passagers. Les jihadistes et les enlèvements de personnes ont arrêté net les promesses de travaux. Donc de développement économique.

Il faut s’imaginer la longueur incroyable de ce fleuve Sénégal : 1830 km traversant la Guinée, le Sénégal, le Mali et la Mauritanie. C’est en 2006 que la Guinée a rejoint l’association de tous ces pays voisins membres de l’OMVS (Organisation de Mise en Valeur du fleuve Sénégal).
Pourquoi est-ce que le tourisme ou le transport de marchandises ne se sont pas développés ?
Entre autre chose pour des raisons climatiques ! Il y a eu des remontées de sel et une plante s’est installée qui a freiné la circulation sur le fleuve. Aujourd’hui, avec la construction de barrages, cette navigation n’est pas possible. Résultat, on voit des centaines de camions le long du fleuve...
Elle a pourtant existé : autrefois, il y avait des bateaux sur le fleuve Sénégal
Oui ! J’ai moi-même navigué sur des bateaux qui transportaient des passagers. Il faut absolument aujourd’hui retrouver cette capacité commerciale qui est un facteur de paix.
Comment faire ?
C’est un cercle vicieux ! Pour développer une économie, il faut entretenir les berges, construire des quais. Or, en situation de menace terroriste, les investisseurs locaux ou étrangers n’y vont pas ! Je n’ai pas de baguette magique... La jeunesse se retrouve au chômage et donc des recrues faciles pour les terroristes. Ces situations me déchirent le cœur.
L’OMVS pourrait-elle relancer une volonté politique dans la région ?
Nous y travaillons ! L’association, réunie cette semaine à Lyon (sud-est de la France), va envisager de futures actions sur place en Afrique, au Sénégal et en Mauritanie. Il y a des lueurs d’espoir.
Pour les auditeurs de RFI, vous vouliez ajouter ?
Qu’ils aillent à Lyon (ou sur le site internet) pour l’exposition Nous les Fleuves ! Les fleuves comme des personnages vivants, ceux qu’ils sont ! Cette exposition, qui dure jusqu’en été prochain au Musée des confluences, est à découvrir. Je l’ai vue, elle est magnifique !
► Liens utiles : https://www.initiativesfleuves.org/
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne