Chronique transports

Se déplacer en Asie, le dilemme indonésien

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En Indonésie, les travaux sont déjà bien entamés. Le président persiste et signe, en août prochain, le pays change de capitale. Située à 1 500 km d'intervalle, Nusantra, sur l'île de Bornéo, remplacera donc Jakarta, installée sur l'île de Java. Aéroports, routes, autoroutes, ports maritimes, le président Joko Widodo promet des transports plus pratiques et plus écologiques. Au cœur de cette actualité, le géographe Rémi Desmoulière, l'un des rares spécialistes français de l'Indonésie. Son livre : « Se déplacer dans les métropoles des suds », vient juste de sortir aux éditions Karthala. 

Des automobilistes se déplacent dans un embouteillage à Jakarta le 13 décembre 2022.
Des automobilistes se déplacent dans un embouteillage à Jakarta le 13 décembre 2022. AFP - BAY ISMOYO
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RFI : Vous avez sillonné l'Indonésie, Jakarta est l'une des capitales les plus polluées du monde, saturée par le trafic routier. Ce changement de capitale (Jakarta vers Nusantara) va-t-il désengorger le pays ? 

Rémi Desmoulière : Cela va surtout créer un nouveau besoin de transports pour desservir la nouvelle ville-capitale, Nusantara. Un aéroport est en construction sur cette côte est, en pleine forêt, sur l'île de Bornéo. Il y aura besoin d'appareils. Il faut près de deux heures d'avion pour relier les deux villes. Mais je ne pense pas que la configuration du pays va en être bouleversée. Jakarta restera une ville gigantesque et polluée.    

Il est tout de même prévu de transférer 25 000 fonctionnaires de Jakarta vers Nusantara.  

Il n'y a pas le choix. Jakarta est une ville polluée en proie aux inondations. Le niveau de la mer augmente. Mais toutes ces menaces accélérées par le changement climatique ne sont pas les seules raisons du changement de ville.  

Vous dites qu'il n'y a pas qu'un choix lié à la pollution, vous soulignez la dimension symbolique de ce changement de capitale

Tout à fait. Il y a une forte charge symbolique et une raison géopolitique. Le président Joko Widodo veut donner une idée de territoire national central, et non pas régional. L'île de Bornéo où se construit la capitale Nusantara est plus centrale sur le territoire indonésien. L'île de Java où se trouve Jakarta étant une ville plus excentrée.     

Le gouvernement indonésien dit qu'il veut tout construire en même temps. Des autoroutes, des ports, des aéroports pour un pays en plein essor et plus écologique.

Plusieurs événements ont été gâchés par le problème des transports. En 2018, la congestion des routes a gêné le bon déroulement des Jeux asiatiques. En 2015, les déplacements ont été difficiles lors du sommet Asie-Afrique. Les médias indonésiens mettent également beaucoup en amont les difficultés lors de la fin du ramadan où les familles rentrent chez elles en même temps.  

Votre expérience des transports vous l'a prouvée, vous dîtes que l'Indonésie est un pays où la marche à pied n'existe pas.  Les distances entre les villes sont trop longues. C'est un pays pensé pour l'avion et la voiture.  

Oui. L'Indonésie est un archipel, un pays formé d'un groupe d'îles. Les territoires sont donc éloignés, pas de possibilité de faire des ponts de centaines ou de milliers de kilomètres. Les transports sont donc essentiellement le routier (voitures, mobylettes...) et l'aviation pour rejoindre les autres îles éloignées. 

Le train ? 

Tout dépend du lieu. Java, où se trouve l'actuelle capitale Jakarta, est bien équipée. Par ailleurs, il y a une ligne moderne qui est en projet pour relier les extrémités de l'île. Mais en général, le réseau ferroviaire est peu développé en Indonésie. Il existe quelques lignes héritées de la période coloniale (1816-1942) mais les trajets ne sont pas aussi pratiques que par la route. Quant aux bateaux, ils existent pour les marchandises et le transport de personnes. Mais là encore, il n'est pas aussi fréquenté et développé que la route.  

Il y a le métro à Jakarta, quels autres modes transports en commun ? 

Des minibus, des rickshaws appelés Bajaj, mais aussi des motos taxis. Depuis une vingtaine d'années, les années 2000, il y a une politique plus volontariste pour développer les transports en commun. Cette politique du transport public est prise en charge par l'économie dite informelle. De petites entreprises privées, c'est le cas pour les petites motos. 

Vous appréciez l'une des nouveautés en matière de transport en commun, le bus à haut niveau de service. 

Parfaitement. C'est un système de bus capable de transporter des centaines de voyageurs. Ils circulent sur des voies uniquement - même si dans les faits ce n'est pas toujours respecté - réservés pour ces bus. Leur particularité, c'est d'avoir des stations en dehors de la chaussée, un peu comme des stations de tramways, ce qui permet une circulation plus fluide.  

Ces bus circulant sur des voies réservées sont les mêmes qu'en Amérique du Sud, comme il en existe à Bogotá en Colombie ?

Absolument. Ils sont inspirés des modèles d'Amérique latine. Ces bus à haut niveau de service existent aussi au Brésil à Curitiba. Mais pour le moment, seule Jakarta en est équipée. Les inégalités en matière de transport entre la capitale et les autres grandes villes sont encore importantes.  

S'il fallait résumer la politique des transports en Indonésie, c'est de dire qu'il n'y a pas de bonnes et uniques solutions. D'un côté, on va développer l'avion pour rejoindre cette nouvelle capitale et de l'autre, on développe les transports en commun. 

Oui, compte tenu de la géographie de ce pays morcelé, fragmenté en plusieurs îles (18 000), et compte tenu du nombre d'habitants, les bateaux, les ferries continueront d'exister, mais ils sont lents. Seuls les passagers aux revenus les plus modestes les prennent régulièrement. L'avion fera donc partie de l'avenir des transports indonésiens, il est indispensable.    

>> À lire aussi : https://www.karthala.com/hommes-et-societes-changement-social-et-developpement/3503-se-deplacer-dans-les-metropoles-des-suds-transports-artisanaux-informels-auto-organises-9782811124311.html

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