Des écologistes remarquables, portraits

Aldo Leopold, l'homme qui pensait comme une montagne

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Forestier, naturaliste, universitaire, écrivain et grand défenseur de la nature sauvage dans la première moitié du XXe siècle, Aldo Leopold est considéré comme l’un des pères fondateurs de la gestion et de la protection de l’environnement aux États-Unis. Écrivain prolifique et visionnaire, un livre, L’Almanach d’un comté des sables, publié après sa mort, en a fait l’un des grands penseurs de la nature.

Aldo Leopold de retour de chasse, 1946.
Aldo Leopold de retour de chasse, 1946. © Courtesy of the Aldo Leopold Foundation and University of Wisconsin / Madison Archives
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Né dans l’Iowa le 11 janvier 1887, d’origine prussienne et flamande par sa famille, émigrée aux États-Unis à la moitié du XIXe siècle, Aldo Leopold grandit dans les champs, au bord des ruisseaux. Son père l’emmène à la chasse, mais cela n’empêche pas le jeune garçon de se passionner pour l’ornithologie et il commence à exercer ses talents de naturaliste en dessinant les oiseaux.

Le jeune homme entame en 1905 des études de sylviculture à l’Université de Yale, où il obtient sa maîtrise en 1909. Il entre alors au service des Eaux et Forêts, pour lequel il travaillera à la gestion des forêts du Sud-Ouest des États-Unis – Arizona, Nouveau-Mexique – jusqu’en 1928.

Quand l’élevage tue les forêts

En 1911, le jeune homme gère la forêt de Carson au Nouveau-Mexique, traversée par le Rio Grande. La forêt est envahie par les ovins élevés industriellement dans la région et le surpâturage qui détruit le sous-bois, provoque l’érosion de la terre.

À partir de la Seconde Guerre mondiale, le service forestier décide que les troupeaux doivent occuper les forêts au maximum de la charge et lance le projet de transformer le Grand Canyon en parc à touristes – une douzaine d’hôtels, un tramway, des milliers de cottages. Plus tard, Leopold regrettera d’avoir à participer à ce projet.

À partir de 1918, Aldo Leopold supervise le contrôle des incendies, les infrastructures, les loisirs, la gestion forestière et le pastoralisme sur 80 000 km carrés de terres fédérales dans le sud-ouest des États-Unis. Il constate une fois encore les méfaits causés par le surpâturage à grande échelle. Chasseur depuis son enfance, Aldo Leopold se consacre, en 1926, à une étude sur la situation du gibier, pour le compte de fabricants d’armes de chasse.

La forêt, ressource spirituelle

Dans son livre Aldo Leopold, un pionnier de l’écologie, l’écologue et spécialiste des forêts Jean-Claude Génot le présente comme un forestier hors du commun : « Il conçoit la forêt comme pourvoyeur de biens matériels, mais aussi, idée très nouvelle peu répandue à l’époque, comme une source de bien-être psychologique et spirituel ».

Dans cette région où l’esprit des pionniers règne encore, le forestier défend un usage pluriel des terres et des forêts, mais demande à l’État de préserver quelques hectares de forêt originelle afin « d’éduquer le grand public », écrit-il dans un article.

Spécialiste des forêts, grand connaisseur de la faune et de la flore, Aldo Leopold préconise d’entretenir les forêts par des coupes sélectives, mais c’est la vision industrielle de la forêt, avec ses coupes rases, qui prévaudra, et il quittera en 1928 le service des Eaux et Forêts pour se mettre à son compte comme consultant.

Une flamme verte

Lors d’un déjeuner en montagne, Aldo Leopold et un collègue des Eaux et Forêts tuent une famille de loups. Seule survit la louve, mortellement blessée : « Nous atteignîmes la louve à temps pour voir une flamme verte s’éteindre dans ses yeux. Je compris alors, et pour toujours, qu’il y avait dans ces yeux-là quelque chose que j’ignorais, et que la montagne et elle étaient seules à connaître… » relatera-t-il en 1944 dans Penser comme une montagne.

Alors que, chasseur, il a participé à l’extermination des prédateurs et des loups en particulier, cet événement pousse Aldo Leopold à penser différemment.

Au cours de ses pérégrinations dans les forêts de l’Ouest, Aldo Leopold constate que quand il n’y a plus de prédateurs, les cerfs pullulent et détruisent le sol des forêts : exterminer les prédateurs n’est donc pas une bonne idée, ils jouent un rôle actif dans l’équilibre et la protection de la nature. En 1931, le rapport d’enquête sur le gibier qu’il publie propose de nombreux changements dans la gestion de la faune, « qui sont peu écoutés mais lui valent le respect de la communauté de la conservation », écrit Jean-Claude Génot.

En pleine nature

À partir de 1913 déjà, Aldo Leopold pensait nécessaire de protéger des forêts sauvages, la « wilderness » – nature à l’état sauvage, non traduit en français – ; où l’on peut vivre une « aventure », dans la continuité des pionniers de la Conquête de l’Ouest. Et en 1924, son combat porte ses fruits : la forêt de Gila, au Nouveau-Mexique, est désignée première aire de wilderness, 60 ans avant le Wilderness Act – 1964 –, la loi qui intègrera ces espaces protégés sous responsabilité fédérale.

En 1933, Aldo Leopold commence une carrière d’enseignant comme professeur de gestion du gibier à l’Université du Wisconsin, où il est responsable de l’arboretum. Et en 1935, la famille Leopold acquiert une ferme abandonnée qu’elle baptise the Shack – la Cabane –, près de la rivière Wisconsin, sur d’anciennes terres agricoles dégradées.

Dès lors, la famille – Aldo, sa femme, Estella et leurs enfants – y passe tout son temps libre. Chacun y trouve une passion : Estella Leopold sera championne de tir à l’arc du Wisconsin cinq ans de suite.

Recréer la forêt

Dans ses articles, pendant ses cours, Aldo Leopold propose des méthodes de gestion de l’environnement et de restauration des terres dégradées ; la cabane est le lieu où il va pouvoir les mettre en pratique.

Au printemps 1936, la famille décide de reboiser le sol dénudé qui entoure la cabane. Dès lors, tous les ans, entre 1 000 et 2 000 arbres – pins jaunes, épinettes rouges et autres essences – seront plantés, avec des résultats variables suivant les années, mais c’est finalement un succès : la famille a recréé une forêt autour de la cabane.

Au mois d’avril 1948, après un hiver qui a été sec et un printemps chaud, un incendie se déclare dans la forêt et le feu se rapproche dangereusement de la cabane. Les voisins et toute la famille Leopold se précipitent pour l’éteindre. Alors qu’il actionne la pompe à incendie, Aldo Leopold est foudroyé par une crise cardiaque, en pleine action pour protéger sa forêt ; il a 61 ans.

Penser global

Le livre le plus célèbre d’Aldo Leopold, l’Almanach d’un comté des sables, est encore aujourd’hui un texte de référence sur l’écologie. Son fils le publiera en 1949, un an après sa mort.

L’Almanach raconte, non sans humour, des années d’observation de la nature et de réflexion sur la relation que l’auteur et la société entretiennent avec elle.

Il a vu la nature se déséquilibrer, l’environnement se dégrader avec l’industrialisation de l’agriculture et du tourisme : « Tout comme le vent et les couchers de soleil, les êtres sauvages faisaient partie du décor jusqu’à ce que le progrès se mette à les supprimer. Nous sommes maintenant confrontés à la question de savoir si un "niveau de vie" encore plus élevé justifie son prix en êtres sauvages, naturels et libres », écrira-t-il dans la préface.

Pour Jean-Claude Génot, une phrase pourrait résumer la pensée d’Aldo Leopold : « Penser comme une montagne, une métaphore pour dire qu’il faut penser en écosystèmes, penser "global" pour ne pas déséquilibrer la nature (…) il anticipait la sixième extinction de la biodiversité qui est en cours, c’était un visionnaire. »

En savoir plus :

• Almanach d’un comté des sables, Aldo Leopold, 1949, éditions Flammarion, 2000

• L’Éthique de la terre, Penser comme une montagne, Aldo Leopold, 1933, éditions Payot, 2019

• Aldo Leopold, la conscience écologique / articles / éditions Wildproject, 2013

• Aldo Leopold, un pionnier de l’écologie, Jean-Claude Génot, éditions Hesse, 2019

Fondation Aldo Leopold

Forêt nationale de Gila

Wilderness Society

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