Slovaquie: Robert Fico, l'ex-Premier ministre à la campagne pro-russe
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Les Slovaques renouvelleront leur Parlement dimanche 30 septembre. Le parti Smer-SD de Robert Fico reste en tête des intentions de vote, talonné par le parti libéral Slovaquie progressiste. L’ancien Premier ministre, poussé à la démission en 2018, pourrait faire son grand retour. Il a fait campagne avec un programme pro-russe et promet de mettre fin au soutien militaire à son voisin ukrainien.
Si le parti Smer-SD fait la course en tête, d’après les sondages, il ne sera pas en mesure de gouverner seul. La question des alliances qu’il pourrait former reste en suspens. « Robert Fico est ouvert à toute forme de collaboration. Il n’a pas l'intention de blâmer qui que ce soit avant que les résultats définitifs ne soient connus », affirme Aneta Vilagi, analyste politique à l’université Comenius de Bratislava.
L’ancien Premier ministre, à la tête d’un parti officiellement social-démocrate, pourrait avoir besoin des électeurs d’extrême droite pour retrouver le pouvoir. Il n’exclut pas de s’allier avec Republika, un parti fondé en 2021 par Milan Uhrik qui défend une idéologie d’extrême droite, voire néo-fasciste. De son côté, le Parti national slovaque (SNS) d’Andrej Danko, a déjà participé à des coalitions gouvernementales avec Robert Fico. « Quelles que soient les combinaisons, le retour de Robert Fico au poste de Premier ministre pourrait constituer un gros problème pour la démocratie slovaque », pronostique le directeur de l’Institut des Affaires publiques de Bratislava, Grigorij Meseznikov.
« On pourrait faire un parallèle avec Bernard Tapie, pas seulement pour son populisme et son opportunisme, mais aussi parce que c’est quelqu'un qui n'oublie rien », affirme Alain Soubigou, maître de conférences en histoire de l'Europe centrale contemporaine à l’université Paris I-Sorbonne.
À la tête du gouvernement slovaque à trois reprises de 2006 à 2010 puis de 2012 à 2018, il a été contraint de démissionner après les manifestations massives qui ont suivi l’assassinat du journaliste d'investigation Jan Kuciak et de sa fiancée. Ce dernier enquêtait sur les soupçons de fraude aux subventions européennes organisées par la mafia calabraise en Slovaquie avec l’aide de proches du gouvernement.
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Plusieurs proches de Robert Fico ont été inquiétés par la justice. Lui-même a été mis en examen pour « formation d’un groupe criminel organisé » et même si les poursuites semblent aujourd’hui arrêtées, « il a besoin de s'emparer du pouvoir politique, d’avoir entre ses mains le pouvoir exécutif, pour pouvoir nommer les personnes dans les organes chargés de l'application de la loi et changer la mise en œuvre du principe de la loi, comme c'était le cas lorsqu'il était Premier ministre », explique Grigorij Meseznikov. « Ce qui le motive le plus dans cette reconquête du pouvoir, c’est sans doute le fait qu’il pourra rester en liberté, qu’il échappera aux poursuites judiciaires. Je pense qu'il considère son retour au gouvernement comme une garantie de sécurité », avance le directeur de l’Institut des Affaires publiques de Bratislava.
Un « opportuniste »
Les déboires de 2018 semblent aujourd’hui bien lointains. Fin politicien auquel on prête des goûts de luxe, Robert Fico se retrouve à nouveau en tête de la course électorale. Ce juriste de formation de 59 ans, qui a commencé sa carrière politique au sein du Parti communiste tchécoslovaque juste avant la chute du Mur de Berlin, suscite depuis longtemps des sentiments contradictoires. Populiste, opportuniste, autoritaire, revanchard, mais aussi intelligent, tacticien ou fin politicien. Telles sont les images qui viennent à l’esprit des observateurs. « C'est un spécialiste de l’anti : il est anti-magyar, anti-tzigane, anti-migrants. Son parti s'appelle Smer, la direction, mais on ne sait pas très bien dans quelle direction il veut aller », ironise Alain Soubigou, qui décèle en lui, avant tout, « beaucoup d'opportunisme, à un stade, un degré bien supérieur peut-être à celui de son voisin méridional en Hongrie, Viktor Orban ».
Tout comme le Premier ministre hongrois dans son pays, Robert Fico se pose en défenseur des valeurs chrétiennes et s’oppose à la répartition des demandeurs d’asile. Durant la crise du Covid, il s’est affiché en champion des antivax. Il est aussi ouvertement pro-russe, allant même jusqu’à s’engager à « cesser immédiatement toute livraison d’aide militaire à l’Ukraine » et critique régulièrement l’Union européenne. Il n’en a pas toujours été ainsi, souligne Aneta Vilagi : « Lorsqu'il a été nommé Premier ministre, il est devenu très favorable à l'UE, mais aujourd'hui, il mobilise les déçus de l’Union européenne. Il essaie d'adopter le même type de rhétorique que Viktor Orban en critiquant l'UE. Il est très opportuniste et on voit qu’il change de direction en fonction de ce qui peut lui rapporter plus de votes ou plus de soutien ».
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Robert Fico surfe sur le mécontentement des Slovaques devant un taux d’inflation le plus élevé de la zone euro, qu’il impute aux sanctions économiques contre la Russie, fournisseur traditionnel de gaz et de pétrole de la Slovaquie. Il s’appuie aussi sur le sentiment pro-russe d’une partie de la population. Selon un sondage Globsec, 40% des Slovaques estiment que la Russie est responsable de la guerre actuelle et 34% considèrent que le conflit est le résultat d’une provocation de l’Occident.
Robert Fico affiche aussi un anti-américanisme virulent. Il accuse régulièrement la présidente Zuzana Caputova d’être une « Américaine au service de Washington », comme lors d'un rassemblement dans le centre du pays où juste avant sa prise de parole, son vice-président avait fait scander à la foule l’injure : « P*** américaine ». Lui-même était intervenu à la tribune en lançant, « plus une personne est une pute, plus elle devient célèbre ». « Il sait que bon nombre de ses électeurs se méfient des États-Unis et il sait qu’ils accueillent favorablement les attaques qu’il adresse à la présidente Caputova, lorsqu’il l’accuse, par exemple, d’être un agent étranger », souligne Grigorij Meseznikov. Face aux attaques récurrentes du politicien au langage fleuri et à la carrure de boxeur, la présidente slovaque a fini par porter plainte pour diffamation.
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