Le Parti communiste chinois célèbre ses 100 ans dans la désunion idéologique
Publié le :
« Suivre le Parti, pour toujours », c’est le slogan officiel des festivités qui se tiendront en juillet pour célébrer le centenaire du Parti communiste chinois (PCC).

Cet anniversaire s’accompagne d’un retour aux sources maoïstes avec une mise en valeur de la révolution culturelle, quitte à tourner le dos à la vision de Deng Xiaoping qui avait su allier ouverture économique et maintien du monopole du Parti communiste. Une réécriture de l’histoire à l’initiative de Xi Jinping qui provoque crispations et critiques feutrées.
Entretien avec Alex Payette spécialiste du parti-État chinois, co-fondateur et PDG du groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique
RFI : Dans quelles dispositions, le PCC fête-t-il ses 100 ans ?
Alex Payette : Si on regarde ce qui s’est passé depuis 2013, on peut dire que le parti a eu des jours un peu plus ensoleillés, dirons-nous. Actuellement, avec le renouveau de la campagne anticorruption et son lot de purges, la lutte des factions autour de la personne de Xi Jinping, les conditions ne sont pas réunies pour une célébration. Le parti va chercher à masquer cela durant les festivités au cours du mois de juillet.
Que veut cacher le Parti communiste chinois ?
Ce sont des problèmes de famille que l’on essaye toujours de mettre sous le tapis. Le souci c’est que l’on fait face à une situation qui ne s’est pas présentée depuis longtemps : absence de succession, retour d’un discours plus idéologique que l’on essayait pourtant d’éviter depuis la période de Deng Xiaoping et même de Jiang Zemin qui s’étend jusqu’à 2015.
Des références plus fréquentes à la révolution culturelle et aux années maoïstes que certains ne voulaient pas voir ressurgir et qui créent un malaise au sein du parti État. Malheureusement, cela isole encore plus un Xi Jinping déjà très seul au sommet du parti-État et interroge sur la réaction qui pourrait être la sienne.
Cette réorientation idéologique en faveur de la révolution culturelle (1966-1968) se fait à l’initiative de Xi Jinping ?
Oui, en grande partie à l’initiative de Xi Jinping, mais ce n’est pas nécessairement lui qui a mené la réflexion, même s’il avait envie d’un virage à gauche, vers des idéaux maoïstes. Il faut plutôt regarder parmi les gens qui ont écrit les discours de Xi Jinping depuis les années 1980-90, comme Wang Huning et Li Shulei.
Wang Huning c’est l’actuel idéologue du Parti communiste et architecte des idées qui sont déployées à l’intérieur du parti. Il fait partie de ceux qui ont structuré le virage vers la gauche, remis au goût du jour des discours qui rappellent ceux des années 1960 et 1970, une période romantique dans l’esprit de certains.
Le PCC a connu des périodes de rupture au fil de sa longue histoire, avec par exemple la révolution culturelle, la combinaison ouverture économique et maintien du monopole du parti par Deng Xiaoping. C’est la révolution culturelle qui est aujourd’hui mise en avant. L’objectif est-il de donner une vision cohérente et unifiée de l’histoire du parti ?
C’est certain qu’à l’aube du centenaire, il faut absolument recentraliser l’histoire du parti, réunifier autour d’un seul narratif. Contrôler son histoire c’est extrêmement important, car ça permet d’exclure ceux qui ne sont pas d’accord, d’identifier de possibles poches de résistance à l’intérieur du parti.
Mais le problème c’est que ce retour aux idées maoïstes est plus présent dans les discours que dans la réalité. On ne reverra plus aujourd’hui quelqu’un avec la prestance d’un Mao. Xi Jinping n’a pas le panache pour cela. Donc la révolution culturelle est mise en valeur, idéalisée dans les discours, mais sans concrétisation réelle, car la situation sociale a complètement changé.

C’est en raison de ces tiraillements que la publication par l’ancien Premier ministre Wen Jiabao d’un article intitulé « Ma mère », a été tant remarqué ? Wen Jiabao est pourtant un retraité de la politique qui a perdu de son influence, mais l’article publié à Macao a été censuré à Pékin.
Pour faire court, les tensions entre Xi et Wen Jiabao datent de l’entrée de Xi au Politburo en 2007. Les deux hommes s’affrontaient déjà sur l’interprétation de la révolution culturelle. Dans son article publié le 25 mars dernier, Wen Jiabao raconte ce que sa mère et son père ont dû subir pendant la révolution culturelle.
Certes, la critique est indirecte, mais quand il écrit qu’il n’est pas d’accord avec le style de leadership, avec les idées véhiculées, entre les lignes, c’est une critique de la révolution culturelle et il vise directement Xi Jinping. Xi Jinping ne peut admettre que d’anciens membres du Politburo se mettent soudainement à critiquer la direction du parti et même le parti lui-même. C’est inacceptable pour lui.
Dans cette lettre, Wen Jiabao écrit « la Chine devrait être un pays rempli d’équité et de justice, où l’on respecterait la volonté du peuple ».
Ce n’est pas la première fois qu’il le dit, il l’a déjà fait, je pense, en 2010 et même en 2012, avant de quitter la politique. Ce sont les idéaux d’anciens réformateurs, qui ont connu des gens comme Zhao Ziyang, d’anciens Premiers ministres tels que Hu Yaobang, des responsables des années 1980 qui étaient à Tiananmen, qui ont fait partie de la frange des réformateurs.
Pour Wen Jiabao, c’est naturel de revendiquer des valeurs plus universelles, mais le simple fait de l’écrire signifie, si on le prend au premier degré, que les préoccupations de lutte anti-pauvreté, de lutte pour l’équité sociale revendiquées par Xi Jinping depuis 2013 ne sont que de l’affichage.

La Chine a été présentée comme une menace, à plusieurs reprises ces derniers jours, à l’issue du sommet de l’Otan, de la réunion du G7, notamment. Pékin a riposté en affirmant que la Chine n’était pas la menace décrite. Ce qui est en jeu, c’est l’image de la Chine à l’extérieur. On a relevé les propos prononcés le 1er juin par Xi Jinping. Il a appelé de ses vœux « une image fiable, aimable et respectueuse de la Chine ». On s’est interrogé sur le sens de cette déclaration. Faut-il y voir une remise en cause de la diplomatie des « loups combattants », la politique étrangère agressive en vigueur depuis environ 4 ans ?
Pas nécessairement. Quand on fait face à une structure aussi imposante que l’État léniniste, ou ce que l’on peut appeler le parti-État chinois, il faut comprendre que lorsqu’on lance un programme, on ne peut pas faire marche arrière. En raison de cette lourdeur, aucun discours de Xi ne pourra être suivi d’un changement drastique. En revanche, il faut s’intéresser aux mots prononcés.
D’une certaine façon, il dit « on a fait du bon travail en défendant la Chine, mais on est allés trop loin ». Il explique que l’on pourrait faire mieux en aidant les gens à comprendre le parti, le modèle chinois. Mais de là à dire que c’était trop, qu’il faut s’excuser, ça, ce n’est pas envisageable. Donc, il y aura peut-être des ajustements pour apporter un autre type de narratif sur la scène internationale, mais pas de changement soudain de cap… ce serait étonnant.
Mais la diplomatie des « loups combattants » ne fait pas l’unanimité au sein des diplomates chinois.
En effet, mais encore une fois les diplomates sont des cadres du parti de troisième zone, si je peux m’exprimer ainsi, qui relaient les éléments de langage qui leur sont fournis. Qu’ils soient d’accord ou non, la structure et les mécanismes de promotion font que la loyauté s’impose autrement les chances d’avancement diminuent.
Au sein du Politburo, c’est certain qu’il y a des membres qui ne sont pas d’accord et qui pointent du doigt Wang Huning. Par exemple, lors de la guerre commerciale avec les États-Unis, il a été critiqué pour son manque d’expérience concrète en matière de gestion, d’administration du politique. Sa légitimité a été mise en cause. Ce genre de discours flotte encore aujourd’hui.
Au sein du ministère des Affaires étrangères, un certain nombre de diplomates se rapprochent de l’âge de la retraite. Il faut s’attendre à des changements prochains ?
La guerre commerciale avec les États-Unis a brouillé les cartes de la transition au sein du ministère des Affaires étrangères. Décision a été prise en période de tension de conserver en place les gens détenteurs de la mémoire institutionnelle, considérés comme plus aptes à régler les dossiers. Le souci c’est que les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
Avec la diplomatie guerrière, le virage à gauche, la transition Trump-Biden, il est certain que le parti a été pris de court, n’a pas eu le temps d’effectuer les changements envisagés. Ces promotions qui n’ont pas eu lieu provoquent un embouteillage. On s’attend à une transition soit un peu avant le congrès de l’automne 2022, car ça pourrait faciliter des promotions au Politburo, soit en mars 2023, date du grand remaniement ministériel. Mais il y a des embouteillages, des gens qui devaient être promus, qui ne l’ont pas été et ça provoque des tensions.

Vous y faisiez référence, le congrès du PCC est prévu à l’automne 2022 et provoque déjà des crispations. Pour Xi Jinping, le choix qui s’offre à lui est triple : prendre sa retraite, renoncer à l’un de ses sièges ou accepter un troisième mandat ce qui serait inédit. Un dilemme, car chaque choix présente son corollaire de difficultés.
Tout à fait, s’il reste, il bloque le système, provoque le déraillement de tout le mécanisme de promotion, et mécontente ceux en attente d’avancement, même au sein de son entourage proche. S’il venait à se séparer d’un seul siège, ce qui est possible, ou même de deux, il pourrait soit garder la commission militaire centrale, comme Jiang Zemin ou même Deng Xiaoping, ce qui serait peut-être l’idéal pour lui, ou bien garder le siège du parti et confier les autres postes à Li Qiang ou Chen Min’er (chef du Parti communiste de la ville-province de Chongqing) considérés comme des successeurs potentiels.
Mais dans le même temps, est-ce qu’il peut tout quitter d’un coup ? La réponse est non, car la campagne anticorruption a suscité du mécontentement. Or, pour partir l’esprit tranquille, il faut s’assurer que les gens ne sont pas trop fâchés contre vous. Dans le cas présent, on comprend bien que Xi Jinping se retrouve dans une situation délicate. S’il part, les mécontents pourraient provoquer un retour de balancier, s’il quitte partiellement ses postes, ceux qui vont assurer la transition pourraient être victimes des tensions internes au parti ou bien pas suffisamment forts pour tenir la ligne.
S’il décide de rester, il suscitera des tensions au sein du parti qui seront autant de mises à l’épreuve de ses relations avec son entourage. On voit déjà des ballons d’essai avec des informations qui surgissent de nulle part qui concernent l’entourage de Xi, mais aussi Liu He et son fils. Mais ses choix sont limités par ceux qui ont été faits dès 2013, donc il se retrouve prisonnier de la structure.
La volonté de Joe Biden de convaincre les alliés des États-Unis d’adopter une ligne dure à l’égard de la Chine constitue-t-elle un autre facteur de tension ?
Il est certain que si les Européens venaient à constituer un front uni avec Joe Biden cela deviendrait encore plus compliqué pour Xi, d’autant qu’il n’y a pas de consensus sur la ligne à tenir. Donc les uns sanctionnent les autres et vice versa, on appelle cela « le tango des offusqués », qui a pour conséquence d’isoler de plus en plus la Chine.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne