Fréquence Asie

Farkhunda Naderi: «Les femmes afghanes doivent être en première ligne pour bâtir le pays»

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À Kaboul, Farkhunda Naderi était l’une de ces femmes afghanes à qui l’avenir semblait sourire. Membre du Parlement entre 2010 et 2015, la lauréate d’un prix des Nations unies pour son engagement en faveur de l’éducation et la montée en puissance des femmes afghanes avait œuvré aux côtés du président Ashraf Ghani en tant que conseillère principale pour les relations avec l'ONU, avant d’être nommée membre du Haut Conseil de la réconciliation nationale. Mais la victoire des talibans en août dernier a mis fin à sa carrière et Farkhunda Naderi a fui vers l’Ouzbékistan, où elle vit aujourd’hui en exil. De passage à Paris, Heike Schmidt l'a accueillie dans les studios de RFI.

Farkhunda Zahra Naderi, femme politique et militante féministe afghane, à Paris, 18 février 2022.
Farkhunda Zahra Naderi, femme politique et militante féministe afghane, à Paris, 18 février 2022. © RFI Persan
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RFI : Avant le retour des talibans au pouvoir en août dernier, vous étiez une femme politique en Afghanistan, ex-députée, conseillère spéciale du président Ashraf Ghani, militante pour les droits des femmes. Aujourd’hui, les femmes sont à nouveau écartées du pouvoir et de l’emploi, les étudiantes séparées de leurs camarades à l’université. Une femme n’a plus le droit de voyager seule. Quel regard portez-vous sur votre pays sous le règne des talibans ?

Farkhunda Naderi : J’essaie de ne pas laisser mes sentiments m’envahir. Oui, je me sens dévastée, déchirée. Mais nous devons garder l’espoir pour sortir notre pays de cette crise. 

Nous entendons que des manifestantes sont arrêtées, que beaucoup de femmes, terrorisées, restent confinées chez elles. Est-ce que vous confirmez ces informations ? 

Les quelques médias locaux actifs montrent des manifestantes qui sont battues dans la rue, c’est totalement inacceptable. Cela doit immédiatement cesser. 

Mais de nombreuses femmes, comme vous, qui comptaient en Afghanistan, ont dû s’exiler… 

C’est vrai. Nous devrions être à leurs côtés. C’est notre échec, car nous n’avons pas su préserver le gouvernement et garder le système en place. Mais je ne pense pas que seule l’élite afghane peut changer la donne. Non. Le changement viendra de l’intérieur.

Nous avons tellement de femmes qualifiées. Mais elles ont besoin d’être reconnues, de pouvoir travailler. C’est pour cela qu’elles sont dans la rue. Elles veulent être utiles, servir leur nation et leur peuple, mais on le ne leur permet pas ! Il incombe aux talibans de les protéger. 

Vous pensez que les talibans sont prêts à le faire ? 

J’aimerais tellement voir cette volonté. Mais pourquoi ont-ils fermé les écoles ? Le système fonctionnait. Même pendant la guerre, les écoles étaient ouvertes. Comment ont-ils pu les fermer, alors qu’ils disent que la guerre est finie ? Aujourd’hui, les talibans doivent se mettre au service du peuple afghan.

Nos femmes devraient être en première ligne pour bâtir le pays. Le traitement réservé aux femmes cet hiver a choqué le monde entier. Les talibans doivent les respecter, les entendre et leur donner leur place dans la société. Il ne s’agit plus de faire la guerre, mais de construire un pays civilisé.

Le président américain veut confisquer les réserves afghanes, soit sept milliards de dollars. Seulement la moitié devrait revenir en Afghanistan sous forme d’aide humanitaire. Est-ce la bonne manière de mettre les talibans sous pression, alors que la moitié de la population est menacée de faim ?

Les Afghans ont besoin d’aide humanitaire et il faut leur fournir cette aide. Mais en même temps, les talibans doivent comprendre pourquoi ces avoirs sont actuellement gelés. D’abord ils doivent faire preuve de transparence et de responsabilité, donner des garanties. Cet argent appartient aux Afghans, et personne n’a le droit d’y toucher. Personne. Mais c’est aux talibans de créer les conditions pour que cet argent puisse profiter à tous les Afghans.

Washington tente visiblement de contourner les talibans. À votre avis, faut-il au contraire entamer le dialogue, voire reconnaître le régime de Kaboul ?   

Pour qu’un dialogue fasse sens, il faut des engagements clairs et une vraie volonté d’aboutir à des résultats. La responsabilité de gouverner est énorme, pour cela il faut de la légitimité. Il faut que chaque Afghan puisse se sentir en sécurité. 

Est-ce que vous souhaitez retourner dans votre pays et, si oui, quelles conditions doivent d’abord être réunies ? 

C’est mon pays, c’est mon identité. L’Afghanistan nous appartient à nous tous et cela doit être respecté.

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