Fréquence Asie

Au Japon, les liaisons dangereuses entre la classe politique et l’Église de l’Unification

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Entretien avec Adam Lyons, professeur adjoint de l’Institut des études religieuses à l’Université de Montréal et enseignant des religions du Japon. 

Le révérend Hyung Jin Moon, pasteur de l'Église et fils de feu Sun Myung Moon, participe à une cérémonie au World Peace and Unification Sanctuary à Terre-Neuve en Pennsylvanie (Étatas-Unis), le 28 février 2018 à Terre-Neuve, en Pennsylvanie.
Le révérend Hyung Jin Moon, pasteur de l'Église et fils de feu Sun Myung Moon, participe à une cérémonie au World Peace and Unification Sanctuary à Terre-Neuve en Pennsylvanie (Étatas-Unis), le 28 février 2018 à Terre-Neuve, en Pennsylvanie. Getty Images via AFP - SPENCER PLATT
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L’assassinat il y a cinq mois de Shinzo Abe par le fils d’une adepte de la secte Moon, a provoqué une onde de choc au Japon et braqué les projecteurs sur le mouvement sectaire et ses liens occultes avec de nombreux élus conservateurs du parti conservateur de l'archipel. Ce meurtre d’un très haut responsable dans un pays réputé parmi les plus sûrs au monde a libéré la parole sur un sujet jusqu’ici tabou et poussé le gouvernement à agir. 

RFI : Depuis le 8 juillet et l’assassinat de Shinzo Abe, le débat fait rage autour de l’Église de l’Unification (secte Moon) et ses liens occultes avec le Parti libéral démocrate au pouvoir. À quand remontent ces liens ambigus et comment une secte a-t-elle pu s’immiscer dans l’appareil d’État ? 

Adam Lyons :  L’Église de l’Unification est une nouvelle religion fondée en Corée du Sud par le révérend Sun Myung Moon dans les années 1950. Ce groupe a été l’une des premières nouvelles religions étrangères à avoir du succès au Japon. C’est le grand-père de Abe Shinzo qui a construit les relations entre le PLD et l’Église de l’Unification, et une des idées véhiculées par Sun Myung Moon était que le communisme était en fait le satanisme.

L’Église de l’Unification est un produit de l’époque de la guerre froide ; un conflit entre les pays démocratiques et les pays communistes et qui était au centre de la vision de Sun Myung Moon. Par conséquent, lorsqu’il parlait de guerre entre les deux cultures, il parlait de guerre contre le communisme et c’est cette idéologie qui est à l’origine de son alliance avec le Parti libéral démocrate au Japon. Aujourd’hui, nous savons que plus de 100 membres du Parlement ont compté sur le soutien des bénévoles de l’Église de l’Unification. 

Comment la secte a-t-elle réussi à bâtir son empire financier et quels sont ses rites et ses croyances ? 

L’Église de l’Unification contrôle un véritable empire économique. Il y a un business de sushi très connu aux États-Unis, mais également un journal, le quotidien conservateur Washington Times, qui est lié à l’Église de l’Unification. Son rite le plus célèbre est la cérémonie de mariage de masse. L’idée derrière cette cérémonie est que des personnes issues de cultures autrefois en guerre fondent des familles dans le processus de l’unification du monde.

Mais le scandale actuel est lié à des ventes spirituelles. C’est une sorte d’arnaque à la voyance, dans laquelle un voyant cherche à collecter de l’argent en trouvant des clients dans le grand public. Le voyant explique par exemple au client que ce dernier est confronté à des menaces qui doivent être écartées par l’achat d’une protection de Dieu. Ils utilisent le concept de Karma, tiré du bouddhisme, ou encore les idées selon lesquelles les ancêtres ont agi contre la Corée durant l’époque colonialiste japonaise. Et ces idées ne fonctionnent pas en dehors du Japon. 

En chute dans les sondages, le Premier ministre Fumio Kishida s’attaque au statut d’organisation religieuse de la secte Moon, qui lui permet de ne pas payer d’impôt. Pensez-vous qu’il réussira à circonscrire les dérives du mouvement sectaire ? 

Il y a vraiment une possibilité pour le gouvernement nippon d’annuler le statut religieux de l’Église de l’Unification au Japon. Il existe deux exemples. Celui d’Aum Shinrikyo qui a été impliqué dans des activités terroristes dans les années 90 et un autre groupe qui était mêlé à des ventes spirituelles. Malheureusement, le gouvernement n’a pas conservé les archives des procédures qu’il a utilisées pour démanteler ces organisations. Et personne ne s’est rendu compte qu’ils créaient ainsi un précédent.

Pour conclure, j’aimerais insister sur un point : l’Église de l’Unification souligne à juste titre que ce n’est pas son Église qui a assassiné Abe. Et ils ont raison. Yamagami Tetsuya est à mon avis le terroriste le plus efficace de l’histoire du Japon d’après-guerre. Je veux dire par là qu’il a tué Abe pour atteindre son objectif, qui était de détruire la réputation de l’Église de l’Unification. Donc la question est plutôt de savoir ce qu’il faut faire face à la montée de la violence politique dans une démocratie comme le Japon. 

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