Fréquence Asie

Pour Lun Zhang, professeur d’études chinoises: «La légitimité du pouvoir est gravement atteinte»

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La Chine fête ce week-end le Nouvel An lunaire. Après trois ans de restrictions anti-Covid, des millions de Chinois ont rejoint leurs proches, malgré les consignes des autorités de ne pas rendre visite aux vieux parents à la campagne. Leur crainte : l’explosion des infections. Une inquiétude qui rime mal avec l’envie des Chinois de retrouver une vie normale et qui exacerbe le mécontentement de la population. Analyse de Lun Zhang, professeur d’études chinoises à l’université de Cergy-Paris et l’un des leaders du mouvement pro-démocratie en 1989. 

Le président chinois Xi Jinping, lors du discours prononcé le 20 janvier 2023 à Pékin.
Le président chinois Xi Jinping, lors du discours prononcé le 20 janvier 2023 à Pékin. © AP/Li Xueren
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RFI : Les Chinois célèbrent l’année du lapin, un signe du zodiaque qui promet un retour au calme et à la prospérité. Mais vous y croyez, vous, malgré les infections Covid qui s’emballent et une croissance économique au plus mal ? 

Lun Zhang : Je pense que ça sera encore une année difficile. Il faut voir si la Chine réussit à redresser son économie et si elle a mieux contrôlé la pandémie ou pas. Maintenant, dans le monde, plusieurs vagues ont déjà été surmontées, tandis que la Chine n’est confrontée qu’à sa première vague d’infections.  

Justement, les experts de la société britannique Airfinity prédisent une deuxième vague de Covid pour mars, avec plus de 4 millions d’infections par jour. Selon vous, le tout-puissant Xi Jinping a-t-il des soucis à se faire, alors qu’il doit être intronisé une troisième fois comme président en mars prochain ?

Si c’était un régime démocratique, dans ce cas-là, ça poserait des problèmes énormes. Mais en Chine, la machine de la propagande fera tout pour vendre la politique chinoise contre le Covid comme une grande réussite. Pour ce régime, la seule chose qui compte, c’est son maintien au pouvoir. Le reste n’a pas grande importance aux yeux du Parti communiste.  

Le timing est quand même mauvais pour Xi Jinping. Le manque de transparence et les mensonges sur le nombre de décès liés au Covid, est-ce que tout cela peut se retourner contre le pouvoir en place ?

Forcément, il y a du mécontentement et cela devient très visible. Le régime a encore des ressources pour se maintenir au pouvoir, mais il faudra voir à plus long terme. J’estime que la Chine se trouve à un tournant, car la légitimité du pouvoir en place est une nouvelle fois gravement atteinte par cette gestion de l’épidémie. 

Après le massacre de Tiananmen de 1989, Deng Xiaoping avait lancé le slogan « enrichissez-vous ! » aux Chinois, sous-entendu : « mais ne vous mêlez pas de la politique ». Ce pacte, censé garantir l’harmonie sociale, est-il rompu aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on arrive à la fin des soi-disant trente années glorieuses de la Chine, marquées par une importante croissance économique et une stabilité politique relative. L’État chinois, après le massacre de Tiananmen, a pu acheter la paix sociale grâce à une croissance fulgurante. Mais certains chiffres économiques sont catastrophiques. Maintenant, cette page de l’histoire est définitivement tournée. 

Lors des manifestations pour la levée des restrictions, on a même entendu des slogans « Xi démissionne ». 

Les revendications pour la démocratie, pour l’instauration d’un État de droit et la liberté d’expression sont de retour, plus de 30 ans après Tiananmen. Une nouvelle génération revient sur le devant de la scène, avec des slogans qui sont là pour rester, j’en suis à 100 % sûr. Des revendications politiques se propagent à nouveau à travers de la Chine.

Vous vous attendez donc à de nouvelles manifestations, organisées par une jeunesse menacée de chômage et frustrée ?

Oui, parce que les gens constatent que l’amélioration de leurs conditions matérielles n’est pas tout. Si on ne règle pas certains problèmes de fond, comme le respect des droits de l’homme, tôt ou tard et à tout moment, cela peut se retourner contre eux. Le pouvoir peut menacer les libertés du peuple et la relative prospérité ne sert à rien. C’est cela, je pense, la grande leçon que les Chinois peuvent tirer de ces trois années de confinements successives. Les gens s’interrogent sur la légitimité du pouvoir, ils s’interrogent sur leur propre dignité et leurs propres droits. Même si, dans l’immédiat, je ne m’attends pas à un changement radical, je pense qu’à long terme, on assistera à un tournant qui d’ailleurs a déjà commencé.

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