Fréquence Asie

Après les «regrets» de Joko Widodo sur les crimes de masse, l’attente de la diaspora indonésienne de France

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Le 11 janvier 2023, le président indonésien reconnaissait la responsabilité de l’État dans des crimes de masses, dont les massacres anti-communistes de 1965-1966. En France, les Indonésiens empêchés de rentrer dans leurs pays à l’époque réclament, eux aussi, justice et vérité. Le gouvernement envisage de venir à la rencontre des exilés. 

Le président Joko Widodo, en juin 2022. En Indonésie, l’heure est aujourd’hui à la reconnaissance des massacres de 1965-1966, ainsi que d’autres crimes commis depuis un demi-siècle.
Le président Joko Widodo, en juin 2022. En Indonésie, l’heure est aujourd’hui à la reconnaissance des massacres de 1965-1966, ainsi que d’autres crimes commis depuis un demi-siècle. © REUTERS/Willy Kurniawan
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Ses cheveux ont blanchi, son visage a pris quelques rides depuis le coup d’État du 30 septembre 1965. C’était il y a 57 ans. Soejoso n’était alors qu’un étudiant loin de son pays. « J’ai quitté l’Indonésie pour Moscou », se souvient-il. « Une semaine après mon arrivée, il y a eu le coup d’État. En Russie, on écoutait la radio pour savoir ce qu’il se passait, nous étions très très inquiets ». 

En Indonésie, l’armée emmenée par le général Suharto vient d’évincer Sukarno, le héros de l’indépendance. Les milices nationalistes et islamistes se lancent dans une répression de masse contre les membres du Parti communiste indonésien (PKI). Des intellectuels, militants de gauche et membres de la diaspora chinoise sont aussi visés. Entre 500 000 et 1 million de personnes seront tuées. « Plusieurs membres de ma famille ont été arrêtés, d’autres assassinés », raconte Soejoso. « Aujourd’hui encore, je ne sais pas ce que sont devenus certains d’entre eux. »

Comme des milliers d’étudiants envoyés dans les universités de Russie ou de Chine par Sukarno, Soejoso se retrouve bloqué en dehors de son pays. Impossible de rentrer en Indonésie sans prêter allégeance au régime du dictateur Suharto. Son passeport est révoqué et ce n’est qu’en 1982 qu’il rejoint la France et obtient l’asile politique.

Regrets d’État

En Indonésie, l’heure est aujourd’hui à la reconnaissance des massacres de 1965-1966, ainsi que d’autres crimes commis depuis un demi-siècle. En août 2022, une équipe de chercheurs se voit confier par le gouvernement la mission de formuler « une résolution non judiciaire aux graves violations des droits de l’homme ». Le 11 janvier 2023, jour de la remise officielle du rapport, le président Joko Widodo exprime les regrets de l’État. 

► À lire aussi : « Avec la reconnaissance des purges anti-communistes, l’Indonésie sort de l’amnésie collective »

« En tant que président de la République d’Indonésie », déclare-t-il lors d’une cérémonie officielle à Jakarta, « c’est l’esprit clair et le cœur sincère que je reconnais de graves violations des droits de l’homme lors de plusieurs événements. Je regrette profondément la réalité de ces crimes. C’est pourquoi le gouvernement et moi-même nous efforcerons de rétablir les droits des victimes de manière juste et responsable, sans pour autant renoncer à la voie judiciaire. » 

En plus des massacres de 1965-1966, les « regrets » de l’État concernent onze autres faits marquants comme les fusillades contre des manifestants (1982-1985), les disparitions forcées de militants pro-démocratie (1997-1998) ou encore les exactions commises contre des civils dans les régions indépendantistes d’Aceh et de Papouasie (2001-2003). 

Rétablir la citoyenneté des Indonésiens à l’étranger

« Dans ses déclarations, Joko Widodo ne mentionne pas les auteurs des massacres », déplore Soejoso qui a écouté avec attention les mots présidentiels, « Ça ne va pas encore assez loin. » Plusieurs ONG locales et internationales déplorent en effet l’absence de condamnations des responsables des massacres de 1965-1966. 

Mais une autre annonce a redonné un peu d’espoir à Soejoso après que le gouvernement a déclaré envisager de rétablir la citoyenneté des Indonésiens exilés à l’étranger et privés de leur nationalité. Une réunion dans une ville européenne est à l’étude dans les prochains mois à Genève, Moscou ou Berlin.

Justice et vérité

Les mots du président Widodo ont aussi résonné jusque dans le VIe arrondissement de Paris. Le restaurant Indonesia a été fondé en 1982 par cette génération d’exilés en France. « Le but était de créer des emplois pour les réfugiés politiques indonésiens dont les diplômes n’étaient pas reconnus ici », explique Anita Sobron, dont le père Aïdit Sobron était à l’origine du projet. 

« J’avais un an au moment du coup d’État du 30 septembre 1965, nous étions en Chine », explique-t-elle, « mais comme tant d’autres Indonésiens, nous n’avons pas pu rentrer et mon père a vu sa nationalité révoquée. En Indonésie, mon oncle, D. N. Aidit, fondateur du PKI a été assassiné. Mon autre oncle est lui resté en prison pendant une vingtaine d’années ».

« Où est la justice », s’interroge Anita. « Il faut reconnaître les victimes, mais aussi juger les assassins. » L’autre chantier est, selon elle, celui de la mémoire. « Il faut rétablir la vérité, raconter ce qu’il s’est passé. Pendant plus de trente ans, les jeunes ont été exposés à la propagande de l’État. On leur a expliqué comment les communistes ont été responsables des massacres, alors que ce n’est pas vrai, ça ne s’est pas passé comme ça. Ce sont eux les victimes. »

Anita insiste, elle ne se considère pas comme « une victime directe de la dictature » de Suharto, mais ce travail de justice et vérité est nécessaire pour son père, son oncle et toute la première génération. 

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