Bangladesh: dix ans après le drame du Rana Plaza, «la main-d'œuvre continue d'être exploitée»
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Le 24 avril 2013, un immeuble situé dans les faubourgs ouest de Dacca, s’effondre. Le bâtiment de huit étages abritait six usines textiles. Le bilan est effroyable : 1 138 ouvriers sont morts et plus de 2 000 blessés.

Jusqu’à aujourd’hui, l'accident du Rana Plaza est l’accident le plus grave jamais répertorié dans l’industrie de l’habillement. La tragédie, qui était le résultat d’une succession de négligences, a mis en lumière la corruption des fonctionnaires locaux, le non-respect des normes élémentaires de sécurité et de nombreuses autres défaillances.
Pour éviter de telles catastrophes, quels progrès ont été réalisés depuis ? Entretien avec Nayla Ajaltouni, déléguée générale du collectif « Éthique sur l’étiquette ».
RFI : Nayla Ajaltouni, dix ans après la tragédie du Rana Plaza, qu’est-ce qui a véritablement changé en termes de droit du travail et de la sécurité au travail ?
Nayla Ajaltouni : Une des avancées majeures a eu lieu en termes de sécurité des bâtiments suite à cet effondrement, c’est-à-dire que rapidement après le drame, les grandes multinationales de l’habillement ont été poussées par la société civile à signer un accord contraignant qui les oblige à rénover des usines et à faire des inspections. Les entreprises ont signé l’accord, qu’on a appelé l’accord Bangladesh, qui est désormais un accord international qui a permis de réaliser plus de 30 000 inspections dans les usines, de couvrir près de 1 600 usines, c’est-à-dire à peu près la moitié du parc fournisseur du pays, et qui a permis de mettre aux normes ces usines donc, pour que les travailleurs ne soient plus en danger. La limite, c’est que chaque cinq ans, chaque trois ans, il faut renouveler cet accord, et que depuis 2021, on peine à faire en sorte que toutes les multinationales de l’habillement acceptent de continuer de signer cet accord, qui va être étendu à des pays comme le Pakistan, où on a les mêmes problèmes systémiques de mise en danger des travailleurs, ce qui prouve bien qu’il faut passer par des régulations contraignantes, et plus uniquement ce type d’accord.
Et pourquoi cette hésitation du côté des grandes marques ?
Je pense que très clairement, depuis des années, on a un modèle économique dans l’habillement qui est fondé sur la production à extrêmement bas coût, dans des pays dans lesquels soit il n’y a pas d’État de droit, soit les droits sociaux sont bafoués, et qu’il n’y a pas d’obligations imposées aux grandes sociétés multinationales de faire fabriquer leurs vêtements dans des conditions où il y a des salaires corrects. Donc c’est vraiment l’impunité, l’absence de règles contraignantes, et l’absence de responsabilité juridique entre ces multinationales et leurs chaines de sous-traitance.
Y a-t-il eu des progrès en termes de salaires, d’horaires de travail ou encore de libertés syndicales ?
Malheureusement, le Bangladesh reste un eldorado pour la production à très bas coût et à très bas salaires. Les travailleuses et travailleurs bangladais, dans l’habillement notamment, continuent à être sous-payés, et à être une main d’œuvre exploitée. Ils gagnent aujourd’hui autour de 8 000 takas en moyenne, c’est-à-dire un peu moins de 70 euros, et les syndicats réclament une augmentation de salaire entre 22 000 et 25 000 takas, et ça ce serait le niveau qui serait vital, qui serait acceptable pour ces travailleurs, pour qu’ils puissent vivre dignement du fruit de leur travail. Ce qui n’a pas évolué non plus, c’est les horaires démesurés de travail, le travail 7 jours sur 7, et puis la violation de la liberté syndicale, puisque l’État du Bangladesh est aussi un État complètement défaillant, et empêche les travailleurs de s’organiser en syndicat pour défendre leurs droits, donc je dirais qu’en matière de droits fondamentaux au travail, on est encore dans des conditions d’exploitation même s’il y a des mobilisations permanentes et une solidarité internationale qui s’accroit sur ces questions.
Est-ce que vous diriez que les habitudes des consommateurs en Occident ont véritablement changé ? Est-ce qu’il y a une prise de conscience de ce que vivent les travailleurs au quotidien dans les pays en voie de développement ?
Il y a une prise de conscience des citoyens manifeste, mais ça ne se traduit pas encore dans les comportements de consommation, pour un tas de raisons. Les grandes enseignes de fast fashion continuent de communiquer sur le fait qu’elles produisent dans des conditions responsables, alors que les consommateurs n’ont aucun moyen de vérifier ces exercices de communication. Tout l’enjeu aujourd’hui, c’est de développer cette offre, et là, c’est la responsabilité des pouvoirs publics, c’est-à-dire d’aider les consommateurs à pouvoir consommer autrement, en sanctionnant les modèles irresponsables, en sanctionnant les modèles de surproduction, la fast fashion, l’exploitation des travailleurs, et c’est pour ça qu’il faut passer par des lois contraignantes au niveau international.
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